Que serait la Tech mondiale sans l’Afrique ? Elle serait moins performante, peut-être moins présente. Car le sous-sol africain est devenu indispensable aux géants du numérique. Lithium, cuivre, coltan et surtout cobalt s’y trouvent en abondance. Un pays concentre beaucoup de ces richesses : la République démocratique du Congo. Le pays, qui a pris tardivement conscience de l’intérêt stratégique de ses ressources, représente par exemple 60% de la production mondiale de cobalt. Rien d’étonnant alors à ce que les multinationales de l’extraction multiplient les sites miniers sur le continent, et se soient engagées dans une lutte sans merci pour acquérir les permis d’exploitation. Seulement, cette courses aux minerais africains se fait souvent aux mépris des droits humains les plus élémentaires. Ainsi, depuis des années, des ONG tirent la sonnette d’alarme et demandent aux grandes compagnies minières de revoir les conditions de travail dans leurs mines, en interdisant, notamment, celui des enfants.
Le cobalt, centre de toutes les convoitises
Apple, Tesla, Google, Dell… les géants des nouvelles technologies (américains, mais aussi chinois ou indiens) ne peuvent plus se passer de ce minerai essentiel au bon fonctionnement des batteries lithium-ion – 5 à 15 grammes se trouvent dans chacune d’elles. Rien d’étonnant donc qu’en l’espace de huit ans, de 2011 à 2019, la demande en cobalt ait triplé. Et cela devrait continuer sur ce rythme : en 2026, cette demande devrait passer à 190 000 tonnes, selon l’analyste du secteur Benchmark Mineral Intelligence. Forcément, et même si les producteurs arrivent à suivre, les prix prennent la même trajectoire.
La moitié des réserves de cobalt se situent dans un seul pays, africain : la RDC, qui assure par ailleurs 60% de la production. Fin 2018, Kinshasa a adopté un décret qui sanctuarise le minerai comme « ressource stratégique » du pays, faisant bondir la redevance que doivent verser les opérateurs miniers à l’Etat congolais. Fréquemment, la hausse de celle-ci provoque des tensions entre les grandes compagnies et le pouvoir.
Le coltan, moteur des conflits
Le tantale, que l’on extrait du coltan, est lui prisé pour sa résistance, notamment à la chaleur. On le retrouve ainsi dans la fabrication des condensateurs électroniques, dans les téléphones portables ou le matériel aéronautique. Si le coltan est présent partout dans le monde, l’essentiel de ses réserves de trouverait en Afrique, notamment en République démocratique du Congo (60% à 80%) mais aussi au Rwanda. Surtout son extraction et sa contrebande ont alimenté le conflit qui déchira la RDC au tournant du XXIe siècle.
Dès 2001, un rapport de l’ONU pointait le trafic de minerais par les armées de la région, depuis l’est de la RDC, avec la complicité d’entrepreneurs occidentaux peu scrupuleux.
Plusieurs chercheurs ont ainsi montré la corrélation, de 1997 à 2010, entre la hausse des prix des minerais et le nombre de conflits sur le continent africain (25% d’entre eux, sur cette période, peuvent être liés à l’accaparement des ces ressources). Les Nations unies, en 2010, confirmait le lien étroit entre l’exploitation du sous-sol congolais et les affrontements qui déchirent le pays, et parfois jusqu’à l’intérieur même des factions, ainsi que l’influence des prix : « Lorsque le prix du coltan a flambé en 2000, ce minerai est devenu le plus attractif de tous. »
Lithium, cuivre, en moins grandes quantités
L’Afrique renferme d’autres minerais utiles à la Tech mondiale, bien qu’en moins grandes quantités. C’est le cas du lithium, prisé pour sa légèreté, que l’on retrouve essentiellement au Zimbabwe – les plus grosses réserves se situant en Amérique du Sud, en Australie et en Chine. Le lithium est utilisé pour la fabrication des batteries depuis les années 1990, on en retrouve, à raison de deux ou trois grammes, dans les smartphones.
Quant au cuivre, composant traditionnel des appareils électriques (pour près de 30% des usages), on en trouve essentiellement dans la province du Katanga, au sud de la RDC, ainsi qu’en Zambie. Comme pour le lithium, l’Afrique est loin d’être le lieu où se concentrent l’essentiel des réserves de cuivre.
Une extraction au mépris des droits de l’homme
Pour satisfaire la demande, les compagnies minières prospectent toujours plus le sous-sol africain. Mais il convient de préciser que dans le domaine, et notamment concernant le cobalt, cette production est duale : elle est l’affaire de grands groupes comme de petits producteurs artisanaux, qui travaillent souvent sous les radars des autorités. Rien qu’en RDC, cette petite armée serait composée de 200 000 travailleurs.
A de nombreuses reprises, les conditions de travail dans ces mines – particulièrement dans celles non déclarées mais dont profitent certains géants – ont été dénoncées par les organisations de défense des droits l’homme. C’est notamment le cas du travail des enfants, fréquemment pointé du doigt malgré des améliorations ces dernières années. Fin 2019, une plainte a été déposée aux Etats-Unis contre les grandes entreprises de la Tech, accusées de profiter encore de cette activité illégale. Et les confinements décrétés sur les sites miniers pour faire face à la pandémie de coronavirus, l’année suivante, ont aussi donné matière à dénoncer les conditions de travail dans ces exploitations.
Un effort de traçabilité
Les conflits en tous genres, provoqués par l’exploitations de ces minerais, ainsi que les scandales à répétions concernant leur extraction, a poussé à l’élaboration de normes et de pratiques pour encadrer l’activité et permettre la traçabilité des ressources prélevées puis exportées d’Afrique. Des normes jusqu’ici relativement absentes, y compris à la London Metal Exchange, la grande bourse à métaux non ferreux, qui fait la pluie et le beau temps sur ces marchés depuis 1877. Le tir devrait être corrigé en 2023.
En réalité, la traçabilité dans l’industrie minière est plutôt une question d’initiatives individuelles. Une quarantaine de labels existent ainsi, certains n’étant valables que dans une région ou sur une seule activité dans la chaîne de valeur. L’idée qui se développe donc est d’harmoniser tout cela. Un groupe de recherche européen entend ainsi mettre au point une nouvelle certification qui validera toutes les étapes de la chaîne d’approvisionnement.
Sources
Nicolas Berman, Mathieu Couttenier, Dominic Rohner, et Mathias Thoenig, This Mine is Mine! How Minerals Fuel Conflicts in Africa, American Economic Review, 2017
Emmanuel Hache, Clément Bonnet, Gondia Sokhna Seck, Marine Simoën, Cuivre : quel avenir pour ce métal essentiel à la transition énergétique ?, The Conversation, 2019
ONUDH, Rapport du Projet Mapping concernant les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la République démocratique du Congo, 2010