Douche froide pour le président centrafricain Faustin-Archange Touadéra. Son très médiatique projet Sango n’aura pas vécu longtemps, à peine un petit mois. En tout cas en l’état de ce qui a été présenté. Le 29 août 2022, la Cour constitutionnelle de RCA l’a en effet retoqué, s’opposant formellement à certains aspects censés attirer les investisseurs – car c’est là tout l’enjeux de Sango, faire rentrer les capitaux dans l’économie centrafricaine.
Qu’a trouvé à redire la plus haute juridiction du pays – et qui ne pourra pas faire l’objet de recours ? Dans les grandes lignes, elle ne souhaite pas que l’on brade le pays – au sens physique comme symbolique – pour une poignée de cryptomonnaies. Elle rejette ainsi la possibilité d’acquérir la nationalité centrafricaine, un permis d’e-résidence ou encore des ressources naturelles du pays, en échange de l’achat d’un certain nombre de Sango Coin, la crypto lancée par le pouvoir dans la foulée de la reconnaissance du bitcoin comme monnaie nationale. Des transactions possibles sur le site Sango.org.
Trois mesures décriées
C’est que les autorités centrafricaines avait fait ça bien. Sur ce site, tout est expliqué simplement. Sans doute trop au goût de la Cour constitutionnelle. Vous voulez un nouveau passeport ? « La citoyenneté en République centrafricaine peut être obtenue en bloquant une garantie fixe de Sango Coins d’un montant de 60 000 dollars pour une période de 5 ans. Une fois la période terminée, les pièces Sango sont restituées au propriétaire. » La RCA se targuait ainsi d’avoir lancé “la première citoyenneté par investissement en cryptomonnaie” avec un l’avantage de ne payer aucun import dessus.
La Centrafrique avait également lancé un programme d’e-résidence, un peu sur le modèle estonien qui a montré la voie. Sauf que le sésame délivré par l’Etat balte a le gros avantage d’ouvrir grand les portes du marché européen. L’e-résidence centrafricaine pouvait s’obtenir moyennant une garantie fixe de 6 000 dollars en Sango Coin, mais présentait finalement bien peu d’avantages, si ce n’est celui de réduire les démarches administratives pour ouvrir sa société dans le pays.
Côté foncier – peut-être l’aspect le plus problématique pour les sages -, l’acquisition de 250 m2 de terrain « dans le quartier résidentiel de Crypto City, une extension de la capitale, Bangui » pouvait se faire moyennant « une garantie fixe de Sango Coins d’un montant de 10 000 dollars pour une période de 10 ans. »
Pour le collectif d’associations de la société civile à l’origine de la saisine de la Cour constitutionnelle, la décision de cette dernière est évidemment une grande victoire. Sur RFI, Ben Wilson Ngassan, porte-parole du G-16, explique ainsi qu’il est hors de question « de brader la nationalité et les terres centrafricaines à travers le soi-disant projet crypto-actif du gouvernement. »
Bangui prend acte, la BEAC veille
Ce revers va-t-il freiner l’enthousiasme du pouvoir centrafricain pour les cryptomonnaies ? Rien n’est moins sûr. Déjà car tous les aspects du projet Sango n’ont pas été retoqués. Et ça, le gouvernement s’est empressé de le faire savoir : « La loi portant création d’une monnaie numérique n’est pas anticonstitutionnelle, a déclaré Fidèle Gouandjika, ministre conseiller spécial du président Touadéra. Il s’agit de quelques dispositions autour du Sango Coin qui sont querellées par la Cour constitutionnelle. Nous prenons acte de cet arrêt car nul n’est censé ignorer la loi. »
Mais il est clair que le gouvernement va devoir trouver d’autres leviers pour attirer les investisseurs dans le pays. Le ministre a d’ailleurs fait savoir que Bangui allait « sans délai, remanier ces publicités pour qu’elles soient conformes à la Constitution de notre pays », d’autant que ce dispositions n’étaient pas – encore – gravées dans la loi. Selon Radio Ndeke Luka, citant des sources proches de la présidence, aucun étranger n’avait jusque-là pu obtenir de terres ou même la nationalité centrafricaine à travers la plateforme Sango.
Mais la Cour constitutionnelle ne sera pas la seule à regarder attentivement les prochaines initiatives gouvernementales dans le domaine. La Banque des Etats d’Afrique centrale également. Malgré une décision favorable, fin juillet, du Comité ministériel de l’Union monétaire de l’Afrique centrale (Umac), dirigé par le Centrafricain Hervé Ndoba, en faveur d’un cadre normatif régissant les crypto-actifs dans la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), la BEAC reste inflexible. Dans une interview à Jeune Afrique, il y a quelques jours, son gouverneur, le Tchadien Abbas Mahamat Tolli, ne voulait toujours pas entendre parler de cryptomonnaie dans la région, qualifié de « danger » pour la Cemac. « Nous nous devons d’être prudents. Notre rôle, c’est de protéger les citoyens de la zone des pertes de dépôt et de capital. »