Le bitcoin, monnaie légale en Centrafrique : est-ce une bonne chose ?

Après le Salvador en septembre 2021, voici la Centrafrique en avril 2022. Le pays d’Afrique centrale, le deuxième le moins développé au monde selon l’ONU, vient d’adopter officiellement, au côté du franc CFA, le bitcoin comme monnaie officielle, et a légalisé dans un même mouvement l’usage des cryptomonnaies. La présidence centrafricaine joue la carte de la modernité : « Cette démarche place la République centrafricaine sur la carte des plus courageux et visionnaires pays au monde », estime le cabinet de Faustin Archange Touadéra. Mais comme pour le pays d’Amérique centrale, cette initiative n’est pas sans inquiéter les institutions financières internationales.

Des inquiétudes qui portent principalement sur deux questions. D’abord celle de la volatilité. La monnaie virtuelle, créée en 2008, ne cesse de fluctuer de façon vertigineuse. Début 2017, le bitcoin franchit la barre des 1000 dollars, pour finir à un premier pic, en mars 2021, de 60 000 dollars. Puis il perd 30% de sa valeur, avant de flirter avec les 68 000 dollars en novembre dernier. Ce mois-ci, le cours tourne autour des 45 000 dollars. Cette très importante volatilité fait craindre une tension permanente sur l’économie qui l’emploie, surtout si celle-ci est déjà chancelante.

Statistique: Cours du Bitcoin dans le monde de janvier 2015 jusqu'à avril 2022 (en dollars des États-Unis) | Statista
Evolution en moyenne mensuelle. Source : Statista

Présence russe et corruption, le cocktail explosif ?

Le Fonds monétaire international craint aussi un mouvement plus général, que le bitcoin soit perçu comme « une panacée contre les défis économiques auxquels [les] Etats font face », ce qu’il n’est pas, selon l’institution. « Dans l’hypothèse d’un mouvement bien préparé vers la numérisation et par le biais de l’utilisation des monnaies numériques des banques centrales », les cryptomonnaies « peuvent contribuer à un système de paiements plus robuste » sur le continent, a certes nuancé le responsable Afrique au FMI, Abebe Aemro Selassie, au cours d’une conférence de presse, jeudi 28 avril. Mais encore faut-il que ces conditions soient réunies.

Autre objet d’inquiétudes : les usages que l’on peut en faire, notamment dans un pays qui, comme la Centrafrique, connaît un état de guerre depuis près d’une décennie, et de corruption endémique – le pays se trouve au 155e rang mondial sur cette question. L’influence russe grandissante dans le pays, allant de la présence de conseillers auprès de la présidence à la présence de mercenaires de la compagnie privée Wagner aux côtés de l’armée, n’est pas non plus sans soulever des interrogations : alors que le pays de Vladimir Poutine est le plus sanctionné au monde, le Kremlin tente de solidifier ses liens avec l’Afrique et les cryptomonnaies pourraient faire office de ciment.

Le président de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Russie, Sergei Katyrin, conseille ainsi au gouvernement de se servir de ces monnaies virtuelles pour « les règlements et paiements mutuels ». Et cela pourrait passer par la blockchain TON (Telegram Open Network), toujours actif malgré le départ de la messagerie Telegram en mai 2020, ou via d’autres canaux.

Côte corruption, si, comme l’écrit la Banque mondiale, les cryptomonnaies et la blockchain « ont le potentiel d’accroître considérablement la responsabilité et la transparence des dépenses publiques », tout n’est pas si évident. Les crypto peuvent aussi être utilisées « pour transférer les produits de la corruption », note une équipe du FMI, et il est donc vital de bien encadrer leur utilisation. Dans un pays où la faiblesse de l’Etat permet aux activités criminelles de prospérer, l’arrivée du bitcoin pourrait empirer la situation. C’est d’ailleurs ce que craint l’opposition : plusieurs membres de la commission ayant étudié le projet de loi dénoncent une opération qui favorisera « le blanchiment de l’argent sale, fera le lit de la fraude fiscale et de l’escroquerie », et ne fera que susciter la suspicion des bailleurs.

Agacement en Afrique centrale

L’initiative n’est pas non plus passée inaperçue dans la région. Dans la foulée de cette décision, le gouverneur de la Banque des Etats d’Afrique centrale s’est fendu d’une lettre destinée au ministre des Finances de RCA, lui demandant de convoquer des réunions en urgence au sein du conseil d’administration de la BEAC et du comité ministériel de l’Union monétaire de l’Afrique centrale (Umac), qu’il préside tous deux. Bangui, évidemment, a fait la sourde oreille. Pourtant la colère est réelle : selon Jeune Afrique, certains pays de la région ne seraient pas opposés à une exclusion de la Centrafrique de l’Umac si elle ne tenait pas ses engagements…

Au niveau régional, on souhaite en fait uniformiser l’approche des cryptomonnaies, pour éviter les expériences solitaires comme celle de la Centrafrique. « Il y a actuellement une démarche pour aboutir à ce qui devrait être une supervision conjointe ou concertée au niveau de la zone », a assuré à RFI Didier Loukakou, le directeur des affaires juridiques et de la réglementation à la Commission de surveillance du marché financier de l’Afrique centrale (Cosumaf). On est donc pas fermé au bitcoin, juste soucieux d’agir de concert.

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