Numérique en Afrique de l’Ouest : quels sont les freins à l’emploi ?

C’est un rapport long de plus de 300 pages qu’ont publié, mardi 26 janvier, l’Union africaine et l’OCDE. Un rapport consacré à l’emploi en Afrique et aux perspectives que l’on peut attendre du numérique, alors que les conséquences de la pandémie sont sévères sur les économies. Dans l’ouest du continent, les perspectives sont dans ce domaine plus qu’encourageantes. Pour les deux institutions, « la nouvelle ère numérique s’avère prometteuse ».

Mais l’OCDE et l’UA listent aussi toute une série d’obstacles qui pourraient assombrir le tableau, au-devant desquels des problèmes évidents d’accès aux infrastructures de connectivité. Ce n’est pas une révélation : si la sous-région est de mieux en mieux connectée – huit câbles sous-marins relient désormais la côte ouest -, le maillage interne laisse des pays et des zones sur le côté du chemin.

« Certains pays, comme le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Sénégal et, dans une certaine mesure, le Nigeria, enregistrent des taux de couverture supérieurs à la moyenne régionale, note le rapport. Des efforts importants restent cependant à faire au Bénin, au Burkina Faso et au Togo. Les petits pays sont souvent confrontés à la difficulté de réaliser des économies d’échelle, en raison de l’ampleur des investissements nécessaires pour assurer la connexion de l’ensemble du territoire. » Les chantiers d’ampleur sont nécessaires. Celui d’Orange (Djoliba, dont on vous a déjà parlé), dans la fibre optique, en est un. La couverture 4G progresse aussi mais, on l’a vu également, la 3G et même la 2G résisteront bien, du moins dans les prochaines années.

L’e-commerce ouest-africain peut mieux faire

Mais le frein de la connectivité à l’échelle régionale, en cache un autre, moins évident à souligner, et pourtant décisif sur le front de l’emploi : la difficulté pour les entreprises ouest-africaines d’investir le numérique. Retard qui n’est d’ailleurs pas forcément de leur fait. Le commerce en ligne est par exemple confronté à un problème de taille : celui de la logistique, dans des régions où le maillage routier est inégale.

En 2019, une publication du Boston Consulting Group soulignait plus longuement ce problème, expliquant que l’insuffisance des routes et des liaisons ferroviaires entre les villes, sans parler des villages isolés, rendait très difficile l’acheminement fiable des marchandises vers les consommateurs, « en particulier sur ce que l’on appelle le “dernier kilomètre” jusqu’au domicile des acheteurs. » L’acheminement est également perturbé par des défauts de coordination entre transporteurs, selon BCG : certaines plateformes signalaient ainsi que 30 à 40% des produits commandés étaient retournés parce que les services de livraison ne trouvaient pas la destination.

La visibilité des entreprises ouest-africaines sur la toile n’est pas non plus idéale, souligne l’étude de l’OCDE et de l’UA. Bien peu d’entreprises (24% sur toute la sous-région) disposent par exemple d’un site internet, « et ce malgré l’intérêt que ce dernier peut représenter en termes de marketing et d’accès à une clientèle élargie. Cette proportion est encore plus faible au niveau des petites entreprises (14 %). De surcroît, 36 % des grandes entreprises ne disposent pas de site internet, reflet de la faible couverture numérique et de la prépondérance du secteur informel, notamment dans les petits pays peu équipés en infrastructures de communication, tels que la Sierra Leone, le Liberia et la Guinée‑Bissau. »

Si de manière générale, l’e-commerce continue son essor en Afrique de l’Ouest (+9% par an), tiré là aussi par le mastodonte Jumia, les chantiers sont encore colossaux, et la marge de manœuvre sur le front de l’emploi importante.

Pas de résultats sans formation

L’emploi dans le numérique passera aussi par une réelle prise de consciences par les pouvoirs publics, des enjeux liés à la formation des travailleurs, assurent les auteurs de l’étude. Le développement des compétences numériques est ainsi un luxe accessible à bien trop peu de jeunes : le coût (élevé) d’acquisition des équipements pour les établissements est l’un des principaux freins à l’élaboration de tels cursus. La prédominance des filières en sciences humaines en est une autre, selon le rapport : « Les étudiants ont besoin de solides compétences dans le domaine des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques (STIM), ainsi que de compétences numériques. Ces dernières doivent être associées à des qualifications en gestion et marketing pour permettre de s’adapter aux défis du marché du travail. »

Le risque de fracture est là : il pourrait se former, dans quelques années, une élite de travailleurs adaptés à une monde du travail où le numérique est incontournable, et une majorité qui ne pourra suivre le mouvement, avec tout ce que cela sous-entend de précarité et de bas revenus.

Les gouvernements ouest-africains ont donc encore du pain sur la planche. Les deux institutions internationales leur adressent d’ailleurs toute une série de recommandations : favoriser l’émergence de hubs technologiques, bâtir des politiques en faveur de l’entrepreneuriat, développer l’e-gouvernement pour faciliter les démarches, soutenir le secteur de la Fintech qui participe à l’inclusion financière…

A l’échelle du continent, l’OCDE et l’Union africaine dégagent quatre axes sur lesquels les pouvoirs publics doivent plancher : démocratiser l’accès à internet, notamment dans les campagnes ; développer les compétences numériques de la population active ; lever les barrières à l’innovation ; et encourager les initiatives de coopération régionale. Cela en se basant sur des projections claires : en 2040, 73% des Africains vivront encore dans des villes intermédiaires ou en zone rurale, les travailleurs indépendants représenteront en moyenne 65% de l’emploi et 34% des jeunes atteindront le deuxième cycle de l’enseignement secondaire ou les études supérieures (en forte hausse). (Photo : Iwaria)

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