L’environnement des libertés en ligne se détériore à grande vitesse. C’est le constat dressé par Paradigm Initiative (PIN) et Civic Watch, le 15 avril 2025 à Yaoundé, sur la base d’une année marquée par la censure, la surveillance et l’intimidation à l’approche de l’élection présidentielle prévue en octobre 2025.
Les deux organisations, spécialisées dans la défense des droits numériques, dénoncent « l’opacité » d’une gouvernance qui se traduit par des restrictions croissantes de l’espace civique, la multiplication des poursuites contre les journalistes et l’usage de lois aux formulations vagues pour museler la contestation en ligne. PIN affirme avoir recensé une hausse inquiétante des violations entre 2024 et 2025.
Au‑delà des chiffres, Gbenga Sesan, directeur exécutif de PIN, pointe la sophistication des campagnes de désinformation : « des comptes factices et des influences étrangères visent à décrédibiliser l’opposition et à manipuler la perception du public », rapporte le site ITWeb Africa. Un cocktail explosif dans un pays où la défiance envers les scrutins est forte.
Heureux de coorganiser #DREAM avec @ParadigmHQ pour lutter contre les #DiscoursDeHaine et la #Désinformation avant la présidentielle 2025 au Cameroun.
— Civic Watch (@civic_watch) April 15, 2025
Objectif c'est de promouvoir des #ÉlectionsÉquitables et #defyhatenow.
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La crainte d’un nouveau shutdown
La crainte d’un nouveau black‑out n’est pas théorique. Le Cameroun a déjà coupé Internet pendant 94 jours en 2017 dans les régions anglophones, empêchant toute activité économique et toute circulation de l’information. Depuis, le pays figure régulièrement dans les rapports #KeepItOn d’Access Now, qui en 2024 soulignait un record continental de 21 shutdowns recensés dans 15 pays africains.
Les organisations locales rapportent aussi des interruptions plus ciblées : ralentissements sélectifs de réseaux sociaux lors de manifestations étudiantes, blocage ponctuel de plates‑formes de messagerie et filtrage des VPN.
La surveillance, elle, peut notamment s’appuyer sur un cadre légal datant de 2010. La loi n° 2010/012 sur la cybersécurité et la cybercriminalité autorise les autorités à intercepter « toute communication » pour des motifs aussi larges que la « sécurité publique ». En l’absence de contrôle judiciaire indépendant, défenseurs des droits humains et journalistes voient leur travail exposé à un risque constant d’interception ou de perquisition numérique.
Un arsenal juridique qui se renforce, mais sans garde‑fous clairs
Fin 2024, Yaoundé a déposé un projet de loi sur la protection des données personnelles salué comme « une avancée »… mais déjà critiqué pour ses failles. Paradigm Initiative, dans son analyse, relève l’absence d’indépendance de la future autorité de protection (nommée par le président) et la possibilité, à l’article 9, de traiter des données sans consentement pour de vagues « intérêts publics ».
Pour Colbert Gwain, activiste basé à Bamenda, « l’essentiel n’est pas seulement de gérer les données, c’est de protéger les personnes qui les génèrent ». Les ONG appellent donc à une réforme globale : abroger les dispositions pénales de la loi 2010 jugées liberticides, inscrire un droit à la vie privée et clarifier les motifs de dérogation au consentement.
PIN et Civic Watch exigent que l’Agence de régulation des télécommunications (ART) et les opérateurs publient la liste des demandes gouvernementales de blocage ou d’accès aux données. Jusqu’à présent, aucune entreprise n’a rendu de rapport de transparence au Cameroun, contrairement aux pratiques devenues courantes chez certains géants mondiaux.
Dans un marché dominé par MTN, Orange et Camtel, les acteurs privés se trouvent tiraillés entre la menace de sanctions et la pression de la société civile. L’enjeu est de taille : selon la Banque mondiale, une interruption nationale coûte en moyenne 1,9 % du PIB mensuel dans les pays faiblement numérisés, sans compter la perte de confiance des usagers et investisseurs.
Un climat délétère à six mois du scrutin présidentiel
La présidentielle du 5 octobre 2025 se déroulera dans un contexte où la santé du président Paul Biya, 92 ans, fait l’objet de spéculations que le gouvernement interdit de commenter dans les médias. En juillet 2024, l’Assemblée nationale, dominée par le RDPC, a reporté les législatives et municipales à 2026 ; une manœuvre que l’opposition juge destinée à lui ôter tout élan avant la présidentielle.