Concurrence, contenu : en Afrique, quelle régulation des Gafam ?

Le 14 septembre dernier, Google échouait à faire annuler une amende record de 4,3 milliards d’euros infligée en 2018 par l’Union européenne (UE) pour abus de position dominante. Et alors que géant américain s’achemine vers une nouvelle condamnation, on est en droit se demander ce que fait l’Afrique dans le domaine. Cette question, nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls à nous la poser. C’était (en partie) le sujet de la 7e conférence des présidents du Refram, le Réseau francophone des régulateurs des médias, qui s’est tenue à la Maison de l’Unesco, les 6 et 7 octobre derniers.

Dans le domaine économique, force est de constater que l’Afrique ne se laisse plus marcher sur les pieds. Ou du moins ne le veux plus. Au Nigeria, par exemple, le régulateur de la publicité poursuit Meta, accusant le propriétaire de Facebook et de WhatsApp de publier des publicités non autorisées. Amende réclamée : 70 millions de dollars.

Dans le domaine de la concurrence, le Nigeria, le Kenya, Maurice, l’Egypte et l’Afrique du Sud ont également signé un accord pour l’élaboration et l’application de lois antitrust, car, reconnaissent-ils, les plateformes numériques « présentent des défis considérables pour l’application du droit et de la politique de la concurrence. »

Autre exemple : en Afrique du Sud, la justice est allée dans le sens de GovChat, une plateforme civictech de dialogue avec les autorités qui accuse Meta (alors Facebook) de ne pas lui donner l’accès à l’API de WhatsApp Business pour offrir des services similaires. La Commission de la concurrence demande au géant californien de régler une amende correspondant à 10% du chiffre d’affaires local.

Photo de famille à l’occasion de la réunion des représentants des régulateurs francophones des médias, à la Maison de l’Unesco à Paris, les 6 et 7 octobre 2022 (Crédit : Refram).

Un dialogue au point mort sur le contenu, selon les régulateurs

Mais il y a encore beaucoup de chemin, notamment dans le dialogue entre autorités africaines et Gafam autour des contenus publiés. C’est ce que concédait Christophe Tito Ndombi, le président du CSA congolais, au micro de l’Atelier des médias sur RFI. Face à la profusion de messages de haine en ligne, « on a des contacts, mais parfois, lorsqu’on envoie un mail, il n’y a pas de suite », regrette l’intéressé. « Il y a très peu de représentants de ces plateformes en Afrique », abondait son homologue ivoirien, René Bourgoin.

Ces inquiétudes ont d’ailleurs émergé à la conférence du Refram, au cours d’un échange (vidéo) avec les représentants des mastodontes de l’internet. « Sur la définition des “contenus nuisibles” par exemple, il y a un dialogue à avoir, et pas seulement avec la société civile », interpellait Latifa Akharbach, présidente de l’instance régulatrice marocaine. « Pourquoi l’Afrique ne vous intéresse pas ? », résumait le représentant sénégalais.

Alors n’est-il pas aussi temps de faire front commun dans ce domaine, et d’adopter des cadres législatifs, à l’image de ce qu’a fait l’UE, par exemple avec le Digital Services Act ? Car à l’heure actuelle, que ce soit au niveau de l’UA ou des régions, on en est loin. Et quid des abus ? De la régulation à la censure de la libre expression, il n’y a parfois qu’une frontière sémantique, que certains gouvernements traversent allègrement. En Ouganda, par exemple, une nouvelle loi vient d’être promulguée, condamnant par exemple “l’utilisation abusive des médias sociaux”, et fait bondir les ONG.

Le manque de coordination, d’harmonisation, à l’échelle supranationale laisse souvent les Etats dans des essais de définition menaçant la liberté d’expression. En 2020, les experts de la question, réunis lors du FIFAfrica, le rendez-vous des défenseurs des libertés numériques en Afrique, notaient par exemple que la loi kényane criminalisait la « fausse publication » et la publication de « fausses informations », sans définir clairement ce qui constitue une « fausse nouvelle ». Et relevaient que dans la législation éthiopienne – pays où les tensions entre ethnies sont exacerbées -, « un discours qui est faux est diffusé par une personne qui savait ou aurait raisonnablement dû savoir la fausseté de l’information et est hautement susceptible de provoquer un trouble public, une émeute, de la violence ou un conflit… »

De leur côté, bien souvent, et malgré quelques initiatives, les grandes plateformes de partage se retranchent derrière un rôle « d’intermédiaire » : « Malgré tous les efforts qu’elles déploient pour empêcher la diffusion de contenus préjudiciables, les plateformes internet sont des intermédiaires, et non les locuteurs de ces discours, et il serait peu pratique et dommageable d’exiger des plateformes internet qu’elles approuvent chaque message avant de l’autoriser », insistait Meta dans un récent Livre blanc sur la question.

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