A quoi joue le gouvernement nigérian ? Début juin, (nous vous en parlions ici-même), Abuja avait décidé la suspension de Twitter dans le pays, après ce que le pouvoir considérait comme un ultime affront fait à son endroit. Après la mobilisation contre les violences policières de l’automne 2020, que le réseau social américain avait soutenue, la suppression d’un tweet du président Buhari avait poussé le pouvoir à prendre une mesure drastique, inédite en Afrique de l’Ouest.
S’ensuivirent des négociations qui, en tout état de cause, n’ont pas été fructueuses puisqu’un mois après, le blocage de Twitter est toujours d’actualité. Et il pénalise l’économie nationale, rappelle la revue Foreign Policy : « Twitter a révolutionné les affaires au Nigeria, du service client à la création d’emplois, une promesse de campagne de l’administration Buhari elle-même. » D’après le calculateur de Netblocks, se basant notamment sur les données de la Banque mondiale, en près d’un mois de coupure, le pays aurait déjà perdu près de 140 millions d’euros.
Mais ce n’est peut-être qu’un début. Selon une enquête de la Fondation pour le journalisme d’investigation, reprise par de nombreux médias africains, le gouvernement fédéral et le bureau de l’Administration chinoise du cyberespace auraient récemment discuté d’un projet de construction d’un pare-feu internet nigérian, sur le modèle de celui qui enserre la Chine depuis des années.
Se dirige-t-on vers une Grande muraille numérique au Nigeria ? C’est-à-dire – plus qu’une muraille à proprement parler – une batterie de dispositifs de blocage des requêtes visant à préserver un internet national vierge de toutes critiques ? S’il ne dispose pas des moyens de la Chine, et notamment les mastodontes de la Tech qui participent à la censure dans l’Empile du milieu, Abuja lorgne sur l’exemple chinois au moins depuis les révoltes #EndSars de l’année dernière.
Migration vers l’indien Koo
En octobre 2020, s’exprimant lors d’une conférence sur les fakes news, le ministre nigérian de l’Information avait lâché quelques déclarations en ce sens. « Nous sommes assis sur une bombe à retardement sur cette question des fake news. Malheureusement, nous n’avons pas de politique nationale sur les médias sociaux et nous en avons besoin. Lorsque nous sommes allés en Chine, nous ne pouvions pas obtenir Google, Facebook et Instagram. Vous ne pouviez même pas utiliser votre courriel en Chine parce qu’ils ont fait en sorte que ce soit censuré et nous allons réglementer », avait lancé Lai Mohammed, tout en voulant se démarquer idéologiquement : « La Chine n’est pas un bon exemple car c’est un pays communiste. Le Nigeria a toujours été libre, nous sommes un pays démocratique. »
L’exemple indien serait-il plus à la portée d’Abuja ? L’Inde est elle aussi en bute avec Twitter, et a décidé de mettre au pas le réseau social, accusé de laisser se propager les critiques à l’égard du gouvernement, via une nouvelle loi. La bataille se déplace parfois aussi devant les tribunaux, comme dernièrement, lorsqu’une carte d’un Cachemire indépendant a été publiée sur la plateforme. Mais l’une des réponses les plus concrètes que New Delhi a opposé à Twitter, est la promotion d’un réseau social concurrent, dénommé Koo.
Il s’agit d’une plateforme « made in India » similaire à Twitter, destinée aux locuteurs de langues locales. Koo revendique clairement son absence de modération, laissant la place aux discours les plus extrémistes – un peu comme Parler aux Etats-Unis. Mais au-delà, l’app s’inscrit surtout dans une démarche nationaliste, un internet « entre Indiens » qui convient parfaitement au gouvernement. Et qui plait beaucoup à Abuja, selon Quartz Africa, qui explique que de nombreux officiels nigérians ont déjà « migré » vers la plateforme indienne.
Ces tentatives de trouver des « solutions » au conflit avec Twitter ont lieu alors que la pression s’accroît sur le Nigeria. Aujourd’hui 70 organisations à travers le monde, appuyées par l’ONU et l’Union africaine, demandent à Abuja de revenir sur sa décision. De son côté, la Cour de justice de la Cédéao a ordonné au pays d’arrêter d’empêcher l’accès à Twitter. (Photo : Paul Kagame / Flickr / CC)