C’est une étude sur les médias numériques en Afrique qui est un peu passée inaperçue, mais qui est apparue tout récemment sur nos radars. Et au vu des informations qu’elle contient, nous ne résistons pas à vous partager ici certains enseignements.
Ce rapport a été réalisé par l’organisation (principalement) sud-américaine SembraMedia, mettant à contribution une soixantaine de chercheurs sur trois régions du monde : l’Asie du Sud-Est, l’Amérique latine et l’Afrique. Des chercheurs qui ont interrogé près de 200 rédactions à travers le monde, dont 49 sur le continent (au Ghana, Kenya, Nigeria et en Afrique du Sud). Et il en ressort tout d’abord une note d’optimisme : Pour les médias en ligne en Afrique, comme sur d’autres continents, le travail sérieux, récompensé par un lectorat fidèle, permet de traverser bien des tempêtes. Même si ces dernières ne manquent pas.
Comme le montre l’étude, la faiblesse des moyens n’a pas forcément d’impact sur le résultat : de nombreux médias en ligne africains, même « petits », ont déclaré que des changements avaient eu lieu dans leurs pays à la suite de leurs enquêtes – 57% ont d’ailleurs remporté des prix locaux ou nationaux pour cela. Plus d’un quart, des prix internationaux.
Mais plus qu’un journalisme d’investigation, celui pratiqué par les médias indépendants et en ligne en Afrique se veut un journalisme de solutions. Près de la moitié des rédactions interrogées s’en prévalent en tout cas. « Notre équipe de recherche en Afrique a souligné qu’il y avait eu un certain nombre d’investissements de grande envergure dans des projets de formation au journalisme de solutions sur le continent au cours des deux dernières années, ajoutent les auteurs de l’étude, y compris la Solutions Journalism Africa Initiative – un partenariat entre le Solutions Journalism Network (SJN), Nigeria Health Watch et Science Africa, qui offre des bourses et des formations aux journalistes. »
Revenus : le pari risqué de la publicité
Les médias étudiés par SembraMedia, indépendants et entièrement en ligne, évoluent dans un contexte économique précaire. Mais beaucoup, semble-t-il, ne veulent pas s’appuyer sur des subventions arbitrairement accordées, et misent sur la publicité. Celle-ci représentait 29% des revenus déclarés en 2019 et 26% en 2020, soit plus que les subventions et prix accordés, 16% en 2019 et 20% en 2020 – un inversement des trajectoires que l’on pourrait imputer d’ailleurs à la pandémie et ses conséquences sur l’économie.
La clé du succès se trouve comme souvent dans la diversification des sources de revenus. Ce que certains médias ont bien compris. « Par exemple, Food For Mzansi en Afrique du Sud est rentable depuis son lancement en 2018 en vendant du contenu sponsorisé, des événements sponsorisés, de la publicité native et des packages de publicité sur leur site », détaille l’étude. Celle-ci dégage d’ailleurs quelques axes de développement financier, comme les partenariats de syndication ou les contenus sponsorisés sur les réseaux sociaux, sources de revenus peu exploitées sur le continent.
Un quotidien sous pressions
Dernier phénomène que relate ce rapport : la pression constante sous laquelle travaillent ces entrepreneurs des médias en Afrique. Ce qui n’est pas exclusif au continent évidemment. Un harcèlement qui s’exerce d’abord sur les réseaux sociaux et messageries, sur lesquelles ces médias sont souvent très présents. « Plus de la moitié des responsables […] que nous avons interrogés ont déclaré qu’ils utilisaient des applications de messagerie pour partager du contenu. En Afrique, ce chiffre était de 66%, en Amérique latine de 57% et en Asie du Sud-Est de 34%. »
Mais les pressions ne sont pas circonscrites à internet. Elles prennent aussi la forme de menaces bien réelles et de poursuites devant les tribunaux. Ainsi en Afrique, “certains dirigeants de médias ont déclaré qu’ils s’autocensuraient parfois, évitant les histoires qui pourraient conduire à des contestations judiciaires, car ils ne pouvaient pas se permettre d’engager des avocats pour les défendre”, note l’étude.