Sandrine Mubenga : « Il est inadmissible que des gens meurent à cause du manque d’électricité »

Ingénieure de l’année 2018 selon l’Institut des ingénieurs électriciens et électroniciens (IEE) Sandrine Ngalula Mubenga a participé, ce samedi 9 novembre à une conférence TEDxMontrouge, près de Paris. Depuis qu’elle a failli mourir à 17 ans d’une appendicite à Kikwit, en RDC, à cause d’une pénurie d’électricité, cette ingénieure installée dans l’Ohio s’est promis de « dédier [s]a vie à trouver des solutions aux problèmes d’électricité ». Depuis, elle a développé le bi-level equalizer, qui permet d’optimiser l’efficacité des batteries lithium-ion à moindre coût, et veut fournir de l’électricité aux régions reculées de RDC grâce à l’énergie solaire.

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Teknolojia : Vous avez participé, ce samedi 9 novembre, à une soirée de conférences TEDxMontrouge sur le thème de l’étincelle. Pourquoi avoir accepté de traverser l’Atlantique pour un tel événement ?

Sandrine Ngalula Mubenga : Je veux montrer pourquoi la vie est pour moi une étincelle que l’électricité peut préserver. Tout ce que je fais est lié à ma motivation d’être ingénieure. Mon père était diplomate, il travaillait aux Nations unies. Tous les deux ans, nous devions voyager de pays en pays. Quand j’avais 11 ans, mon père a pris sa retraite anticipée et nous nous sommes installés dans sa ville natale, à Kikwit, [dans la province de Kwilu, au sud-est de la RDC, ndlr]. C’est une petite ville qui n’avait pas d’eau courante ni d’électricité. Si vous vouliez voir un film, par exemple, il fallait mettre de l’essence dans le groupe électrogène de la ville.

A 17 ans, je suis tombée très malade à cause d’une appendicite aigüe. Il fallait que l’on m’opère d’urgence ; malheureusement, il n’y avait pas d’électricité à l’hôpital général de Kikwit en raison d’une pénurie d’essence. Pendant trois jours, mes proches ont cherché du carburant partout, j’étais entre la vie et la mort.

Je me suis tournée vers ma foi et cela a été une révélation pour moi : au XXIe siècle, il était inadmissible que des gens meurent à cause du manque d’électricité. Je me suis promis que si je m’en sortais, j’allais dédier ma vie à trouver des solutions aux problèmes d’électricité. Après trois jours, on a trouvé du carburant et on m’a opérée. Je m’en suis sortie.

Quelques années plus tard, en 2016, à l’Université de Toledo, dans l’Etat de l’Ohio aux Etats-Unis, vous avez développé le bi-level equalizer, le premier égaliseur hybride pour les batteries lithium-ion. De quoi s’agit-il ?

A ce jour, les batteries lithium-ion sont celles qui comptent la plus grande capacité énergétique et elles se sont imposées un peu partout : voiture électrique, hybride, énergies renouvelables, téléphonie… Le seul problème de ces batteries : elles s’enflamment facilement si l’on dépasse les spécifications techniques de charge car leur électrolyte, le liquide qui permet l’échange d’ions et d’électrons, est volatile.

Une batterie est composée de plusieurs cellules, qui ne sont pas toutes aussi efficaces. Or, la capacité d’une batterie est déterminée par celle de la cellule la plus faible. Pour conserver une certaine efficacité de sa batterie, il faut donc égaliser les cellules. Il y a deux types d’égaliseurs : les passifs et les actifs. Les premiers sont les plus courants car les moins chers (1 dollar par cellule) mais sont très peu efficaces. Les seconds sont plus efficaces – ils permettent d’augmenter la capacité d’une batterie d’environ 20-30% – mais sont très onéreux (10 dollars par cellule). 

Avec le bi-level equalizer, nous avons couplé l’égalisation passive pour les cycles de charge et l’égalisation active pour la décharge et nous garantissons une augmentation de la capacité de 30% pour un coût de seulement 1,3 dollars par cellule. Le problème est que beaucoup d’industriels rechignent à changer l’ensemble de leurs batteries, ce qui aurait un coût additionnel. C’est pourquoi nous avons récemment développé un kit retrofit à ajouter sur les égaliseurs passifs et qui agit comme le bi-level equalizer. Aujourd’hui, si une entreprise qui fabrique déjà des système de batteries dans ses usines est intéressée, elle peut appeler l’université de Toledo et acheter la licence.

Vous êtes installée aux Etats-Unis depuis longtemps. Néanmoins, vous avez lancé une entreprise en 2011 pour développer l’énergie solaire en RDC, SMIN Power Group, ainsi qu’une fondation, la STEM DRC Initiative. Pouvez-vous nous parler de ces deux projets ?

Pendant tout ce temps, je pensais toujours à mon expérience au Congo. Je voulais apporter de l’électricité dans des endroits comme Kikwit mais je ne peux le faire que si j’ai de l’expérience. D’abord, il fallait que j’apprenne à l’université, que j’acquière de l’expérience sur le terrain, puis je pourrais créé ma société.

Je l’ai fait en 2011 : lorsque je suis devenue ingénieure professionnelle, un statut reconnu par l’Etat de l’Ohio décerné à l’issue d’un processus d’examen sur cinq ans, j’ai créé SMIN Power Group. En 2013, nous avons ouvert une branche à Kinshasa, au Congo et nous avons commencé à concevoir et à installer des systèmes solaires communautaires un peu partout en RDC. Une vingtaine de personnes travaillent pour SMIN Power Group et nous cherchons encore à étendre notre présence au Congo.

Une des choses que j’ai instaurée à la création de SMIN Power Group est l’idée de faire de l’alternance. J’avais demandé à mon directeur de recruter des étudiants congolais qui voulaient apprendre le métier. Un étudiant qui est venu chez nous m’a dit qu’il aimait bien ce qu’il faisait mais qu’il avait du mal à payer pour ses études. En 2018, nous avons commencé un système de bourse. Nous avons offert six bourses cette année-là pour que des étudiants congolais puissent payer leurs études dans le domaine des science, technologie, ingénierie et mathématiques (STEM). La réponse a été si positive que nous avons créé, avec quelques amis, STEM DRC Initiative, une organisation à but non lucratif qui a pu offrir 63 bourses d’études en 2019.

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Avec le bi-level equalizer, Sandrine Mubenga veut optimiser et recycler les batteries lithium-ion à moindre coût – GLITCH 17 March 2020 - 22h14

[…] Lire aussi l’interview de Sandrine Mubenga sur le site de la newsletter Teknolojia […]

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