Le Niger durcit encore son contrôle sur les communications électroniques

« Vous craignez d’être écoutés. Vous l’étiez depuis, et vous l’êtes encore. C’est maintenant que ça va être organisé. » La petite phrase du ministre nigérien de la Justice, Marou Amadou, devant l”Assemblée nationale, vendredi 29 mai, n’est pas passée inaperçue. Il répondait ainsi à l’opposition, qui accusait le pouvoir de vouloir espionner les Nigériens. En cause, une nouvelle loi sur les interceptions électroniques proposée par l’exécutif et que les parlementaires, justement, étaient en train d’étudier – avant de la voter.

Selon les propres mots du ministre, rapportées par l’Agence nigérienne de presse, le texte « ne vise qu’à traquer ceux des Nigériens ou des étrangers qui s’attaqueront à la sureté de l’Etat et à l’unité nationale, à la défense nationale et à l’intégrité territoriale, à la prévention et la lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale organisée » . Ce qui peut faire vite beaucoup de monde, selon la définition de la menace que l’on donne. Pour l’opposition, toute la population peut être concernée : la surveillance n’est plus l’exception, elle devient, pas son caractère massif, la règle.

Qui décide ? Qui contrôle ?

Le texte évoque des interceptions ciblées. L’intitulé de la loi parle de « certaines communications », et celles-ci concerneraient « toute personne contre laquelle il existe des sérieuses raisons » de penser qu’elle menace la sécurité nationale. Mais la loi reste évasive sur les moyens d’interception.

Interrogé par RFI, le chercheur d’Amnesty international Ousmane Diallo évoque un autre problème : l’accord pour la surveillance d’une personne ne revient plus à une autorité judiciaire. « Ce n’est pas un juge indépendant qui donne l’autorisation, la requête viendra du président ou des autres membres du gouvernement », explique l’expert. C’est en effet ce qu’énonce l’article 2.

Cette nouvelle loi prévoit bien une sorte de garde-fou, une commission ad-hoc chargée de veiller à ce qu’il n’y ait pas d’abus de ces dispositifs. Celle-ci sera composée d’un magistrat de la cour de cassation, de deux députés (dont un de l’opposition), d’un officier supérieur de la Gendarmerie nationale, d’un officier supérieur de la Police nationale, d’un magistrat de la cour d’appel et d’un officier supérieur des Douanes. Or tous seront nommés par l’exécutif (hormis les députes, qui le seront par le président de l’Assemblée nationale, appartenant au PNDS au pouvoir) pour une période de trois ans. « Le fait que ce ne soit pas une autorité judiciaire indépendante […] pose beaucoup de problèmes quant au respect de la vie privée et à la liberté d’expression », juge ainsi Ousmane Diallo sur RFI.

Une composition et des nominations également dénoncées par le collectif de cyber-militants Africtivistes, qui appelle le gouvernement à revoir sa copie.

Lourd passif

Ces inquiétudes ne seraient pas aussi exacerbées si le pays n’avait pas passé une année à expérimenter la précédente loi décriée sur le numérique nigérien, votée à l’été 2019 (l’intégralité est ici).

Cette loi, portant sur la cybercriminalité, a notamment été employée, ces dernières semaines, pour mettre au pas quelques voix dissonantes qui remettaient en cause, sur Facebook ou WhatsApp, la politique officielle de lutte contre le nouveau coronavirus. Son article 31 sanctionne lourdement la diffusion de « données de nature à troubler l’ordre public ».

Avec la nouvelle loi sur l’interception des communications électroniques, le pouvoir renforce son contrôle sur la toile nigérienne, alors qu’approchent des échéances électorales cruciales pour l’avenir du pays : une présidentielle et des législatives en toute fin d’année. (Photo : NigerTZai / CC)

Related Posts

Laissez un commentaire