[Enquête] Grandeur et décadence de Flutterwave, la star des licornes africaines

En surfant sur internet en ce mois d’avril pour dénicher le meilleur de la Tech africaine, le nom d’Olugbenga Agboola remontait constamment à la surface. Et pour cause : le Nigérian de 37 ans, cofondateur et PDG de Flutterwave, la startup africaine la mieux valorisée (3 milliards de dollars), a le vent en poupe. La blogueuse Fatu Ogwuche s’est appuyée sur son récit pour raconter « Comment Flutterwave a bâti une licorne », dans un article publié le 3 avril dans sa newsletter hebdomadaire Big Tech This Week. Cinq jours plus tard, le cabinet de conseil McKinsey – qui n’est pas en odeur de sainteté actuellement en France – a interviewé celui que l’on surnomme « GB » dans son podcast Talking Banking Matters. Et le 12 avril, c’est la consécration : Business Insider Africa décerne à Olugbenga Agboola le prix de l’« Investisseur tech de l’année » – une révélation accompagnée d’un tweet des plus enthousiastes.

On pourrait croire que l’entrepreneur est au sommet de sa gloire. Mais une autre réalité le rattrape, beaucoup moins reluisante. Hasard du calendrier (ou pas ?), quelques heures après l’annonce du prix par Business Insider, le journaliste indépendant nigérian David Hundeyin accuse GB de pratiques douteuses au sein de Flutterwave et de comportements inappropriés vis-à-vis de collaboratrices de la startup, dans une longue enquête publiée dans sa newsletter hebdomadaire (décidément), West Africa Weekly. Une publication qui enfonce un peu plus l’entrepreneur, lui qui était déjà mis en cause dans un post publié sur Medium le 4 avril par Clara Wanjiku Odero, ancienne responsable de l’implémentation chez Flutterwave. Elle y dénonce notamment un harcèlement moral de la part de son ancien patron.

Si beaucoup de ces allégations restent encore à vérifier, cette succession d’événements montre, a minima, que l’aventure Flutterwave peut être racontée de deux manière, selon de quel côté on se place.

Pile : Flutterwave titille les sommets

De PayWithCapture la chenille à Flutterwave le papillon

Côté pile, c’est la success story. L’idée de Flutterwave a émergé dans le cerveau d’Olugbenga Agboola vers 2014, alors qu’il était responsable produit au sein de la branche nigériane de la banque sud-africaine Standard Bank. « Nous nous sommes rendus compte que nos partenaires rencontraient des difficultés lorsqu’il s’agissait de payer leurs employés disséminés à travers l’Afrique », se remémore-t-il dans Big Tech This Week. Après une pige pour Sterling Bank et une autre chez Google, GB, alors responsable innovation chez Access Bank lance un nouveau produit, qui répond aux difficultés de paiement des salaires dans plusieurs pays. Ce produit est à l’origine d’une startup, PayWithCapture, qu’il lance en 2015 avec Ife « IO » Orioke, son beau-frère. Mais celle-ci est rapidement engloutie par une banque. Reprise par Access Bank ou rachetée par une autre banque ? L’histoire ne le dit pas. En tout cas, l’idée de Flutterwave est née. Son nom, lui, était déjà dans l’esprit d’Olugbenga Agboola depuis 2010, inspiré par l’effet papillon : « Le papillon est un insecte minuscule, mais le battement de ses ailes peut faire des vagues », poétise-t-il auprès de Fatu Ogwuche. Battre des ailes se dit « flutter » en anglais, et vague, « wave ». Flutterwave.

Encore chez Access Bank, GB s’installe dans l’espace de co-working Capital Square, à Lekki, une péninsule au sud-est de Lagos, pour développer la future licorne. Un peu seul, il propose à Adeleke Adekoya, un ami, de l’aider dans le lancement de la startup, notamment pour s’occuper de la mise en conformité du service financier. Iyinoluwa Aboyeji, cofondateur d’Andela, qui avait fourni un développeur pour PayWithCapture, rejoint le bateau comme PDG pour former le trio de cofondateurs de Flutterwave. « Le reste appartient à l’histoire », lance Olugbenga Agboola dans Big Tech This Week.

Et le papillon devint licorne

Cette histoire, il n’est pas inutile de la résumer en quelques dates et quelques chiffres. Après un passage au sein de l’accélérateur FIS, à Little Rock, dans l’Arkansas, puis au prestigieux Y Combinator californien, la startup enregistrée dans l’État américain du Delaware et dont le siège est désormais à San Francisco lève 220 000 dollars en amorçage en 2016 et 2017. Elle obtient ensuite 20 millions de dollars en 2017 et 2018 (série A), 35 millions en 2020 (série B) et 170 millions en 2021 (série C). Une dernière levée qui lui permet de dépasser le milliard de dollars de valorisation et de rejoindre le cercle très fermé des licornes africaines. En février 2022, Flutterwave boucle un tour de série D à 250 millions de dollars, la hissant en tête des startups africaines les mieux valorisées. Au total, Flutterwave a attiré au moins 475 millions de dollars de financement.

Et ce ne sont pas les seules métriques impressionnantes. Lorsque Flutterwave a voulu lever 100 millions de dollars en janvier 2021, ses revenus étaient passés de 5 millions de dollars en 2018 à 55 millions pour 2020. Son bénéfice brut était de 26 millions de dollars avec une marge de 48%. « Ses services étaient utilisés dans 20 pays, grâce au travail acharné de plus de 270 employés, indique Quartz Africa [la startup emploierait aujourd’hui plus de 400 personnes, d’après Y Combinator, ndlr]. Sur la base de ces chiffres – consignés dans une présentation aux investisseurs obtenue par Quartz –, des licences qu’elle possédait dans six pays africains et des projets d’introduction de nouveaux produits, l’entreprise prévoyait qu’elle atteindrait près d’un demi-milliard de dollars de bénéfice brut d’ici 2025, avec une marge supérieure à 50%. »

La vague Flutterwave, des deux côtés de l’Atlantique

Et le papillon n’a pas arrêté de battre des ailes : lors de sa dernière annonce de levée de fonds en février, la société a révélé que 900 000 entreprises dans le monde utilisent Flutterwave pour traiter les paiements, dans 150 devises, contre 290 000 entreprises en mars 2021. Cette multiplication par trois signifie que la startup a désormais traité 140 millions de transactions d’une valeur de plus de 9 milliards de dollars depuis sa création. Sans compter le rachat, en novembre 2021, de Disha, une plateforme nigériane dédiée aux créateurs, l’entrée sur le marché américain, le « recrutement » de la star de l’afrobeats nigériane Wizkid comme ambassadeur ou encore l’investissement dans Dapio, une Fintech britannique, en mars dernier.

Avec ce succès, le fondateur de Flutterwave, lui aussi est devenu une référence – à tel point que les seules lettres GB suffisent à l’identifier sur la scène tech africaine. Avant son prix d’« Investisseur de l’année » décerné par Business Insider, Olugbenga Agboola jouissait déjà d’une reconnaissance de la presse tech internationale. On le retrouve parmi les « Innnovateurs de 2019 » de Quartz, les « 40 Under 40 » de Forbes en 2020 ou encore dans le « TIME100 Next » du magazine Time en 2021. Et pourtant, derrière cette réussite, se cache peut-être une face bien plus sombre.

Face : Flutterwave au creux de la vague

Une accusation de délit d’initié

Pour raconter le côté face, justement, revenons au tout début de l’aventure Flutterwave, comme nous l’avons fait pour le côté pile. Si vous relisez les lignes ci-dessus, la transition entre Access Bank et Flutterwave semble floue. C’est volontaire. D’après le journaliste d’investigation David Hundeyin, Olugbenga Agboola « a gardé son emploi à Access Bank tout en construisant simultanément Flutterwave pendant au moins deux ans et en utilisant une jeune figure de la Tech [Iyin Aboyeji, ndlr] comme vitrine de son entreprise […] et a caché aux investisseurs, aux régulateurs et même à ses collègues d’Access Bank le fait qu’il était impliqué simultanément dans les deux entités ». Une pratique qui relèverait « du délit d’initié », selon le journaliste, qui assure s’être entretenu avec 17 employés actuels et ex-employés de Flutterwave et qui présente plusieurs documents pour étayer son propos.

D’après David Hundeyin, ces documents sont la preuve qu’Olugbenga Agboola signait, au même moment, pour Access Bank et pour Flutterwave. (Source : David Hundeyin, West Africa Weekly)

Si ces preuves semblent en effet accablantes, la clé de compréhension pourrait se trouver dans l’Africa Fintech Foundry, une initiative d’Access Bank qui nourrit et accélère la croissance des startups fintech en Afrique. D’après Iyin Aboyeji, cité par TechCabal, le trio de fondateurs avait bien convenu d’un calendrier de transition pour travailler à plein temps sur Flutterwave mais celui-ci a été retardé : « Mes cofondateurs m’ont informé qu’ils avaient démissionné d’Access Bank, mais ils ont dû donner un préavis à la banque et, comme ils occupaient des postes sensibles à Access Bank, ils sont devenus consultants pour Africa Fintech Foundry », explique l’ancien d’Andela. Une affirmation qui coïncide avec la page LinkedIn d’Olugbenga Agboola, sur laquelle s’appuie notamment David Hundeyin, qui n’a pas fait le lien entre l’Africa Fintech Foundry et Access Bank.

Avant la vague, le nettoyage à SEC ?

D’après David Hundeyin, cette situation aurait impliqué une enquête du gendarme boursier américain (Securities and Exchanges Commission, SEC) – sachant que Flutterwave est enregistrée dans le Delaware. « Début 2018, la nouvelle de cet arrangement inavouable est parvenue à la SEC. Selon la loi américaine, une condamnation pour délit d’initié est passible d’une peine pénale pouvant aller jusqu’à vingt ans de prison. Selon plusieurs sources, GB, Iyin et – pour une raison quelconque – Herbert Wigwe [PDG d’Access Bank, ndlr] se sont rendus à Washington, D.C. pour une audience de la SEC où ils auraient témoigné sous serment que GB n’a jamais travaillé simultanément chez Flutterwave et Access Bank », déroule le journaliste.

De son côté, Iyin Aboyeji, a affirmé sur le réseau social Twitter s’être rendu seul à une audition de la SEC, qui concernait des craintes du gendarme américain, qui voulait vérifier que les 85 investisseurs d’alors dans Flutterwave étaient bien en règle, a confirmé TechCabal : « J’y suis allé et nous avons été blanchis. David [Hundeyin, ndlr] aurait dû m’appeler mais il se fiche de la vérité », tance sur Twitter l’actuel fondateur de Future Africa. Cette enquête aurait été close en septembre 2017, et non en 2018, complète-t-il.

Greg le (faux) actionnaire

Une autre accusation du journaliste nigérian est, elle, corroborée par Iyin Aboyeji, en revanche : celle de la création par Olugbenga Agboola d’un quatrième cofondateur fantôme, nommé Greg. « En 2016, au tout début de Flutterwave, Adeleke Adekoya a reçu 37,5% de la société, les 62,5% restants étant censés être répartis entre GB et Iyin [qui avait 15%, apprend-on sur Jeune Afrique, ndlr]. GB a ensuite informé Iyin qu’il y avait un directeur technique appelé ‘Greg’ à qui il faudrait donner 10%, qui seraient retirés des participations d’Iyin et de Leke », écrit David Hundeyin. Cet alias aurait été utilisé plusieurs fois par le numéro un de Flutterwave pour jongler plus aisément entre ses différentes activités, prétend-il encore.

« Aboyeji a reconnu être au courant de ce qui s’est passé à quelques reprises, déclarant que cela se produisait parfois lorsque Agboola, qui était déjà bien connu en tant qu’employé d’Access Bank – mais maintenant avec Flutterwave – avait besoin de s’engager avec d’autres banques », raconte TechCabal. « Lorsque j’ai rejoint l’entreprise, on m’a dit qu’il y avait un directeur de la technologie nommé Greg, qui vient du MIT, que je rencontrerai un jour. Cela n’est jamais arrivé, a déclaré Iyin Aboyeji au média nigérian. C’est dans ce contexte [de contact avec des banques externes, ndlr] que j’ai compris qu’il utilisait Greg. Sinon, en raison de l’hostilité entre les banques, les autres banques peuvent simplement dire : ‘Vous êtes d’Access Bank, nous n’utiliserons pas votre solution”. Alors que nous ne sommes pas Access Bank. Nous sommes Flutterwave. Après un certain temps, on a compris ce qui s’était passé [mais] cela n’avait plus d’importance. Nous [Iyin Aboyeji et Adeleke Adekoya, troisième cofondateur] avions déjà signé des accords, et j’ai décidé de passer à autre chose. »

Une startup toutes options

D’après David Hundeyin, le jeu de dupe de GB continue, puisqu’il aurait revendu, à plusieurs reprises, des actions de la société à ceux de ses employés qui voulaient exercer leur option d’achat, et ce, à un prix plus bas que celui du marché. D’après l’enquête, la vente de ces actions a été versée à un véhicule d’investissement contrôlé par Agboola. Certains n’auraient, de surcroît, jamais été payés, affirme l’enquête. Il est difficile, à ce stade, d’une part, d’affirmer la véracité de ces pratiques, et d’autre part, d’assurer qu’elles relèvent en effet du délit d’initié. A l’heure actuelle, nous nous contenterons ici de vous renvoyer vers ce fact-checking publié par Techpoint Africa (en anglais).

Toujours est-il que beaucoup d’éléments concordent pour imaginer une atmosphère de travail pas toujours saine au sein de la startup. A titre d’exemple, et pour rester dans le sujet des options d’achat, même l’article de Big Tech This Week, qui semble avoir été réalisé par Fatu Ogwuche lors d’une retraite du personnel de Flutterwave au Ghana et validé par GB himself – et que David Hundeyin taxe d’« article de communication » ou même de « communiqué de presse » –, assure que ces options d’achats « ne sont pas un avantage systématique » lors de la signature d’un contrat avec Flutterwave. Un état de fait qui pourrait témoigner d’une certaine culture du favoritisme.

La mystérieuse Nicki Minaj de Lagos

Et du favoritisme au harcèlement, il n’y a parfois qu’un pas. Dans ce domaine, 2018 a été l’année de tous les dangers pour Flutterwave. Un calvaire qui commence avec le départ d’Iyin Aboyeji, qui admet qu’il « se prenai[t] trop la tête » avec Olugbenga Agboola et dénonce « une énergie négative » au sein de la startup. En même temps, des allégations de harcèlement moral et sexuel commis par Olugbenga Agboola et Ife Orioke, son beau-frère et responsable commercial, sont publiées par un mystérieux compte Twitter, « Eko Minaj » (Eko est le nom de Lagos en yoruba). A cela s’ajoute des e-mails répétés, envoyés non seulement à la direction de Flutterwave, mais aussi aux investisseurs de la startup. Si bien que l’investisseur qui devait mener le tour de table de série B, en 2018, se retire, et la levée capote. La série B n’aura lieu que deux ans plus tard, avec un autre investisseur numéro un.

Entre-temps, la direction de Flutterwave mène une enquête interne, licencie un employé accusé de harcèlement sexuel, met en place un programme de sûreté au travail sur les conseils du cabinet E&Y et lance une plateforme de lanceurs d’alerte avec l’aide d’un autre cabinet, PwC. Mais les dirigeants, pourtant directement accusés dans ces e-mails, ne sont pas inquiétés. David Hundeyin assure avoir conversé avec une ancienne employée (qu’il nomme Sheyi) qui aurait couché avec Olugbenga Agboola et qui aurait subi du harcèlement de sa part, mais concède que celle-ci n’est, à l’heure actuelle, pas prête à parler publiquement et à potentiellement devenir la « Susan Fowler de Flutterwave », du nom de l’ancienne développeuse de chez Uber dont les accusations ont mené à la démission de l’ex-PDG Travis Kalanick.

Harcèlement moral, sabotage et négligence

Clara Wanjiku Odero, elle, a décidé de parler, et elle en avait des choses à dire ! En plus d’une série de tweets, l’ancienne responsable de l’implémentation de Flutterwave, aujourd’hui PDG de la startup Credrails, qui compte le géant Softbank parmi ses investisseurs, s’est fendue d’un post Medium le 4 avril au titre clair comme de l’eau de roche : « Le PDG de Flutterwave me harcèle et cela s’arrête aujourd’hui ». Alors qu’elle a quitté son poste fin 2018, celle-ci assure avoir dû réclamer ce que la startup lui devait pendant longtemps, allant jusqu’à embaucher des avocats.

Voici un exemple des messages échangés entre Clara Wanjiku Odero et Olugbenga Agboola. (Source : Clara Wanjiku Odero)

Si la direction de Flutterwave lui a finalement payé ce qu’elle lui devait, Clara Wanjiku Odero affirme que Bode Abifarin, directrice des opérations, l’aurait accusée d’être à l’origine des tweets de « Eko Minaj », ce qu’elle réfute. Mais ce n’est pas tout : la direction de la Fintech n’avait pas fini de poursuivre la jeune femme. « J’ai été présentée à une banque au Nigeria pour un rôle que GB a ensuite saboté en disant que j’étais une mauvaise travailleuse, ajoute-t-elle. [Une pratique qui relève du] crime en Californie. »

Dans cet échange, Clara Wanjiku Odero mentionne que Bode Abifarin a parlé des tweets d’Eko Minaj à Obinna, l’un de ses avocats. (Source : Clara Wanjiku Odero)

Il y en a un peu plus, on vous le met quand même ? « Lors d’un voyage d’affaires au Ghana en mai 2019, ma mère m’a appelé et m’a dit que la police était à son bureau, disant que j’étais impliquée dans une fraude M-Pesa avec des Nigérians… Elle n’était pas cohérente parce qu’elle avait visiblement peur, mais je savais que c’était Flutterwave avant qu’elle ne termine l’appel », raconte Clara Wanjiku Odero. En réalité, le compte M-Pesa de Flutterwave avait été utilisé pour des pratiques frauduleuses au Kenya et la startup nigériane n’avait pas retiré son ancienne employée comme seule référente pour le pays. Cette dernière a donc poursuivi Flutterwave en justice pour négligence, réclamant 900 000 dollars de dommages et intérêts, d’après Big Tech This Week. Après avoir obtenu 2 500 dollars en première instance, elle a fait appel.

Qu’en dit Flutterwave ?

Sur les accusations de Clara Wanjiku Odero

« Nous prenons très au sérieux les récentes allégations d’intimidation d’un ancien employé, a répondu la direction de Flutterwave, interrogée le 5 avril par TechCrunch sur les accusations de Clara Wanjiku Odero. Nous affirmons catégoriquement qu’il n’y a pas de place pour les brimades ou le harcèlement de quelque nature que ce soit sur notre lieu de travail. Nous appliquons une politique de tolérance zéro en matière d’intimidation et nous avons mis en place un comité disciplinaire indépendant et des processus solides pour éradiquer les abus de toute sorte. » Ce à quoi le média ajoute : « Dans une tournure intéressante des événements, Wanjiku a déclaré à TechCrunch : ‘Je ne suis plus autorisée à parler de cela pour l’écosystème’, lorsque nous l’avons contactée pour partager d’autres parties de son histoire. »

Sur l’enquête de David Hundeyin

Dans un premier temps, la direction de Flutterwave s’est montrée très discrète face aux accusations du journaliste. Sollicitée par TechCabal, la startup a d’abord envoyé la réponse suivante, peu détaillée : « L’article de blog en question est basé sur des affirmations recyclées et déjà traitées, et plusieurs autres qui sont fausses. Dans le cadre de notre engagement à exploiter une entreprise éthiquement responsable en conformité avec toutes les lois applicables, nous prenons au sérieux toutes les allégations de cette nature et procédons à un examen approfondi. Nous prendrons les mesures qui s’imposent. Cela nous permet de maintenir les normes les plus élevées sur le lieu de travail et de rester concentrés sur notre mission de créer des possibilités financières pour les entreprises et les consommateurs à travers l’Afrique. » Des affirmations déjà traitées ou fausses, mais qui pousse tout de même la startup à « un examen approfondi » ? Tout cela n’est pas très clair…

Face à la pluie de réactions d’acteurs de la Tech africaine, Olugbenga Agboola a finalement décidé de réagir, au moins sur quelques points soulevés par le journaliste d’investigation, via un e-mail envoyé aux employés de Flutterwave que TechCrunch a pu se procurer ce 20 avril :

  • Sur sa situation prétendue illégale à la fois à Access Bank et à Flutterwave : « Les allégations sur la façon dont j’ai lancé l’entreprise sont fausses. J’ai partagé avec vous pendant la retraite [au Ghana, où Fatu Ogwuche a probablement réalisé ses interviews, ndlr] qu’un ancien patron nous a aidé à fermer l’un de nos clients d’entreprise », a rétorqué GB.
  • Sur le présumé délit d’initié : « Nous avons suivi toutes les procédures juridiques, y compris l’obtention de l’approbation du conseil d’administration lorsque cela était nécessaire, lors de l’approbation de la vente d’actions. En outre, nous travaillons en étroite collaboration avec nos cabinets d’avocats extérieurs pour rester en conformité avec toutes les réglementations applicables », s’est-il justifié.
  • Sur l’audition à la SEC, il corrobore les dires d’Iyin Aboyeji.
  • Sur les soupçons de harcèlements sexuels : « Nous avons déjà enquêté sur des allégations de harcèlement sexuel d’employées (y compris celles formulées à mon encontre, et dont j’ai été innocenté) et avons licencié des employés qui s’étaient montrés inappropriés envers des membres de l’équipe. Nous avons procédé à des examens indépendants par des tiers, qui ont donné naissance aux politiques “We Hear You” et de “lanceurs d’alerte” que vous connaissez tous aujourd’hui. Nous avons toujours eu une politique de tolérance zéro [à l’égard] du harcèlement sexuel et nous continuerons à prendre des mesures si nécessaire. Aucune exception », a-t-il insisté.

En revanche, pas de commentaire sur la création de Greg, l’alias utilisé par GB pour changer d’identité au début de Flutterwave, ni sur les divers procès en cours, la startup assurant ne pas communiquer sur des cas personnels. « Une source a déclaré à TechCrunch qu’Agboola a depuis fait une offre de règlement à l’amiable à [ClaraWanjiku Odero] par le biais d’un intermédiaire, complète le site tech américain. La source a également déclaré que l’ex-employée a rejeté la proposition, qui était nettement inférieure à la valeur actuelle de ses 40 000 actions signées par Aboyeji lorsqu’il était PDG. »

Et maintenant ?

Maintenant, qu’attendre de la suite des événements ? Pour David Hundeyin, « Sheyi et la plupart de ses [co-victimes présumées] ne sont peut-être pas encore prêtes à parler et à vivre leur propre moment Susan Fowler, mais beaucoup comme ‘Ose’, ‘Temi’, ‘Jennifer’ [les sources pseudonymisées du journaliste, ndlr] et Clara Odero vivent actuellement le leur ». Le journaliste a fait appel au refus de la SEC de lui envoyer le document relatif à l’audition de Flutterwave par le gendarme boursier américain. « Le temps qu’il reste à ce qui pourrait bien être l’opération de fraude la plus sophistiquée d’Afrique dirigée par ‘un Yahoo Boy en costume’, comme Ose l’a décrit de manière imagée, pourrait bien dépendre de l’issue de cet appel », prophétise-t-il.

En attendant, de nombreuses voix appellent d’ores et déjà le comité de direction de Flutterwave à opérer des changements, comme celle de Rebecca Enonchong, fondatrice d’AppsTech et très influente dans la sphère tech africaine, celle du fondateur de l’investisseur EchoVC, Eghosa Omoiguim ou encore celles de deux investisseurs dans Flutterwave, qui se sont confiés anonymement à Quartz Africa. « Même si les accusations ne sont qu’en partie vraies, la seule façon d’avancer dans le bon sens est de changer le management », assure Rebecca Enonchong. De leur côté, les investisseurs qui ont mis leurs jetons dans la Fintech nigériane « n’ont plus qu’à espérer qu’il s’agit davantage d’un moment à la Travis Kalanick que d’une catastrophe à la Theranos », conclut Quartz. D’autres sont moins optimistes…

Mise à jour 12/07/2022 | Après des allégations de blanchiment d’argent par l’Agence kényane de recouvrement des actifs (ARA), la Haute Cour du Kenya a gelé, le 6 juillet, quelque 58 millions d’euros répartis dans 56 comptes dans le pays, d’après le journal kényan The Star – 62 selon le site nigérian Business Daily. Ces comptes appartiennent à sept sociétés (Flutterwave, Boxtrip, Bagtrip, Elivalat, Adguru, Hupesi, Cruz) et un individu, Simon Ngige.

En plus d’être au coeur de l’accusation, du fait de transactions avec les autres protagonistes, Flutterwave est l’accusé le plus mis en cause, ayant vu ses avoirs gelés sur 52 comptes, rapporte The Star (29 chez Guaranty Trust Bank, 17 chez Equity Bank et 6 chez Ecobank). Ce qui est reproché à Flutterwave par l’ARA : « avoir dissimulé la nature de son activité en fournissant une plateforme de services de paiement sans l’autorisation de la Banque centrale du Kenya, contrevenant ainsi à la réglementation prévue dans l’article 12 de la loi sur les systèmes de paiement nationaux », détaille Jeune Afrique.

Pour l’instant, la Fintech s’est contentée d’un communiqué niant en bloc les faits qui lui sont reprochés : « Les allégations d’irrégularités financières impliquant la société au Kenya sont entièrement fausses, et nous avons les documents pour le vérifier, clame la startup. Nous sommes une société de technologie financière qui maintient les normes réglementaires les plus élevées dans nos opérations. Nos pratiques et opérations de lutte contre le blanchiment d’argent sont régulièrement auditées par l’un des quatre grands cabinets d’audit. Nous restons proactifs dans nos relations envers les organes de régulation pour continuer à rester conformes. »

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