Par Ifesinachi Okafor-Yarwood et Ibukun Jacob Adewumi.
Les déchets toxiques et électroniques (e-waste) proviennent de divers secteurs industriels – la santé, les hydrocarbures ou même l’industrie manufacturière – et prennent des formes multiples (boues, gaz…). Ce qu’on appelle plus particulièrement les déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) sont des appareils électriques et électroniques en fin de vie que l’on a jetés ou envoyés à recycler. Quand ils ne sont pas bien pris en charge, ils peuvent être très nocifs pour la santé et l’environnement.
Mais le traitement des déchets toxiques et électroniques est coûteux. C’est pourquoi, parmi les entreprises et les négociants indépendants spécialisés dans ce domaine, certains contournent les lois. Ils font passer les déchets toxiques pour inoffensifs et déguisent les DEEE en équipements électroniques réutilisables pour les exporter en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, où ils les abandonnent dans des décharges à ciel ouvert.
Dans un récent article, nous avons montré comment certaines entreprises, notamment européennes et américaines, se servent de certains pays du Golfe de Guinée – notre étude portait sur le Nigéria, le Ghana et la Côte d’Ivoire – comme décharges pour se débarrasser de leurs déchets toxiques. Sans aucune considération quant aux conséquences pour l’environnement et pour les êtres humains qui vivent dans ces pays.
Malheureusement, ces pays africains n’ont pas les infrastructures nécessaires pour recycler ou traiter ces déchets dangereux et toxiques en toute sécurité. Sans compter que la nature même de ces déchets leur est bien souvent inconnue, étant donné que les exportateurs qualifient de « réutilisables » des appareils électroniques en réalité irrécupérables pour outrepasser les lois, qui interdisent de faire traverser les frontières à des appareils en fin de vie.
En s’appuyant sur des exemples puisés en Côte d’Ivoire, au Nigeria et au Ghana, notre étude conclut que ces pratiques peuvent être qualifiées de « racisme environnemental ». Ce terme désigne une forme de racisme systémique par lequel les communautés de couleur sont exposées de manière disproportionnée à des risques sanitaires par le biais de politiques et de pratiques qui les obligent à vivre à proximité de sources de déchets toxiques.
Parmi les victimes de racisme environnemental, on retrouve notamment les Amérindiens. En 2002, la Commission for Racial Justice, aux Etats-Unis, a publié une étude estimant que la moitié des populations amérindiennes vivait à proximité de décharges à ciel ouvert.
Le déversement de déchets toxiques en Afrique montre que les entreprises, en dissimulant délibérément leur véritable contenu, savent que cette pratique est éthiquement répréhensible. Pour protéger les communautés dans ces pays, les gouvernements doivent mettre en œuvre les dispositions des conventions de Bâle et de Bamako, qui classent comme illégal le mouvement transfrontalier de déchets dangereux sans le consentement de l’État destinataire.
Nous plaidons aussi pour que le déversement de déchets dangereux à l’étranger soit reconnu par les Nations unies et ses Etats-membres comme une violation des droits humains.
Notre étude
Nous nous sommes concentrés sur trois études de cas récentes de déversement de déchets toxiques en Côte d’Ivoire, et de déversement de DEEE au Nigeria et au Ghana pour illustrer comment des actes spécifiques de racisme environnemental se produisent.
Nigeria et Ghana
Nous nous sommes penchés sur le déversement de déchets au Nigeria et au Ghana car ces deux pays sont identifiés par le Programme des Nations unies pour l’environnement parmi les principales destinations mondiales pour les déchets électroniques. Il s’agit notamment d’ordinateurs, de téléviseurs, de téléphones portables et de fours à micro-ondes mis au rebut.
On estime que chaque mois, 500 chargements de conteneurs, transportant chacun environ 500 000 pièces d’appareils électroniques usagés (dont beaucoup ne peuvent plus être utilisés), entrent dans un port nigérian en provenance d’Europe, des États-Unis et d’Asie. De même, au Ghana, des centaines de milliers de tonnes d’appareils électroniques usagés, provenant principalement d’Europe et des États-Unis, sont livrés dans d’énormes conteneurs.
Sans traitement ni recyclage adéquat, ces déchets électroniques sont d’énormes sources de pollution : les populations des deux pays sont exposées à des produits chimiques toxiques tels que le mercure et le plomb. La combustion des déchets électroniques peut augmenter le risque de maladies respiratoires et cutanées, d’infections oculaires et de cancer pour les personnes qui travaillent et vivent à proximité.
Une situation qui contraste fortement avec ce qui se passe dans les pays d’origine des déchets. Au Royaume-Uni, par exemple, les déchets électroniques doivent être recyclés de manière appropriée et ne peuvent être incinérés ni déposés dans une décharge.
Des pays comme le Nigeria et le Ghana continuent eux d’accepter l’importations de ces déchets électroniques parce que cette pratique génère des recettes non négligeables. Par exemple, le Ghana récupérerait jusqu’à 100 millions de dollars chaque année grâce aux taxes perçues auprès des importateurs de déchets électroniques. Le secteur informel lié à ces déchets est également une source d’emploi pour de nombreuses personnes pauvres et vulnérables. Au Nigeria, jusqu’à 100 000 personnes travaillent dans le secteur informel des déchets électroniques, traitant un demi-million de tonnes d’appareils mis au rebut chaque année.
Côte d’Ivoire
La Côte d’Ivoire est un bon exemple illustrant le secret inhérent à l’industrie des déchets toxiques et le coût humain et environnemental du déversement de ces déchets.
En 2006, la multinationale pétrolière néerlandaise Trafigura a refusé de payer 500 000 euros (environ 620 000 dollars) nécessaires pour traiter et éliminer ses déchets toxiques aux Pays-Bas. Elle s’est rapprochée d’un négociant ivoirien à Abidjan pour qu’il la débarrasse de pas moins de 500 000 litres de déchets toxiques. Ce dernier a perçu 18 500 euros (autour de 22 000 dollars). Les déchets n’ont, eux, pas été traités – ils étaient qualifiés de “non toxiques” – et ont été disséminés dans 12 lieux différents autour d’Abidjan.
Ici, le racisme environnemental est manifeste : Trafigura savait pertinemment que ces déchets étaient toxiques mais la société a préféré mentir pour les déverser en Côte d’Ivoire – sans aucune considération pour la vie des Ivoiriens. Une contamination qui a rendu malades plus de 100 000 personnes et qui a tué 15 personnes. Selon une étude menée par l’ONU en 2018, certains sites où ont été déversés les déchets de Trafigura seraient encore contaminés.
Le gouvernement ivoirien a conclu un accord avec le groupe Trafigura, recevant 95 milliards de francs CFA (environ 200 millions de dollars), un montant destiné à indemniser l’État et les victimes et à payer le nettoyage des déchets. Cependant, certaines victimes n’ont pas été indemnisées et ont réclamé une compensation auprès d’un tribunal d’Amsterdam. Celui-ci a rejeté leur demande.
Nos recommandations
Nous recommandons aux pays visés par ces pratiques d’appliquer les dispositions des conventions de Bâle et de Bamako dans leur intégralité. Cela permettrait aux pays d’origine de jouer un rôle actif, en contrôlant les négociants de leur côté et en s’assurant que les déchets sont arrêtés avant d’être exportés.
Or, à l’heure actuelle, ni le Ghana ni le Nigeria n’ont ratifié la convention de Bamako. Il est de la responsabilité des gouvernements de ces pays de faire ce qui est en leur pouvoir pour s’assurer qu’ils ne soient plus utilisés comme décharges par d’autres pays.
Il est également nécessaire de mettre en place un tribunal international sur le déversement de déchets toxiques et les crimes connexes – à l’image du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie – afin de rendre une justice rétributive appropriée. Et bien que la convention de Bâle stipule que l’État peut élaborer des lois concernant la responsabilité et l’indemnisation des victimes, cela n’a pas encore abouti à une indemnisation équitable des victimes.
Enfin, les pays du Golfe de Guinée doivent impérativement équiper leurs ports de technologies et de personnel formé pour détecter et prévenir ce genre de pratiques illégales.
Cet article est une traduction de l’article “Toxic waste dumping in the Gulf of Guinea amounts to environmental racism” écrit par Ifesinachi Okafor-Yarwood et Ibukun Jacob Adewumi et publié sur le site The Conversation. Photo : Marlenenapoli