Les rapports tendus – de longue date – entre Twitter et le pouvoir nigérian ont fini par virer à la confrontation direct, au détriment du réseau social. Mais bannir un service mondialement connu du pays le plus peuplé d’Afrique ne pourrait passer inaperçu.
Tout commence le 2 juin : ce jour-là, Twitter supprime un tweet du président nigérian qui menaçait les responsables des violences actuelles dans le sud-est du pays. Deux jours plus tard, Muhammadu Buhari réplique et sort l’artillerie lourde : « Le gouvernement fédéral a suspendu, pour une durée indéterminée, les activités du service de microblogging et de réseau social Twitter au Nigeria », indique le ministère nigérian de l’Information et de la Culture dans un communiqué.
The Federal Government has suspended, indefinitely, the operations of the microblogging and social networking service, Twitter, in Nigeria.
— Fed Min of Info & Cu (@FMICNigeria) June 4, 2021
Susceptible, le chef d’Etat ? Pas seulement. Il ne s’agit finalement que du dernier épisode d’une série de passes d’armes entre le pouvoir et le réseau social, qui avait connu son paroxysme à l’automne 2020 avec le mouvement #EndSARS contre les violences policières, qui s’était mué en une contestation générale des élites. Jack Dorsey, le patron de Twitter, avait alors pris fait et cause pour la mobilisation, appelant même à la financer via des bitcoins.
Cette censure est aussi à replacer dans une volonté plus générale du pouvoir de cadrer l’expression sur les réseaux sociaux. Fin 2019, les parlementaires nigérians avaient tenté de passer un texte contre “les mensonges et les manipulations” sur internet, une loi bien trop floue – et qui donnait trop de pouvoir à la police nigériane – pour ne pas soulever les critiques des ONG de défense des libertés numériques.
Jusqu’ici, le pouvoir s’était bien garder de couper le robinet à tweet, et donc la récente décision s’avère lourde de conséquence, rendant inaccessible la plateforme pour ses utilisateurs nigérians – qui se sont néanmoins rués sur leurs VPN pour contourner la censure.
Interesting to see how Nigerians helped themselves after the #NigeriaTwitterBan. Google search used for the terms Twitter and VPN have increased massively. Twitter can only be reached via VPN in Nigeria since the weekend. Data from @GoogleTrends #KeepitOn pic.twitter.com/8SGzWVsSG3
— Oliver Linow (@OliverLinow) June 8, 2021
Si la décision est présentée comme temporaire – ce lundi, le ministre des Affaires étrangères nigérian a assuré lundi que des « discussions étaient en cours » avec Twitter – il y a clairement l’idée de serré la vis sur le plus long terme, de mettre au pas la plus rebelle des plateformes dans le pays.
Ainsi, l’organe national de régulation audiovisuelle, la National Broadcasting Commission, a demandé à toutes les radios et télévisons du pays de « suspendre tout soutien » au réseau social, en supprimant immédiatement leur compte. « Sera considéré comme anti-patriotique tout média audiovisuel s’il continue à utiliser Twitter, qui est suspendu », indique le communiqué de la NBC. Une injonction qui passe évidemment mal : contacté par RFI, le Syndicat national des journalistes nigérians a dénoncé une mesure qui « va absolument à l’encontre de la liberté de la presse et de la liberté d’expression ».
Selon le calculateur de Netblocks, se basant notamment sur les données de la Banque mondiale, en quatre jours, la suspension de Twitter auraient engendré des pertes s’élevant à près de 21 millions d’euros pour l’économie nigériane. (Photo : European Parliament / Flickr / CC)