Ce sont de nouvelles révélations qui viennent s’ajouter à celles, retentissantes, de la lanceuse Frances Haugen sur le fonctionnement de Facebook – nouvellement Meta. Le Wall Street Journal affirme, documents à l’appui, que certains services proposés par l’entreprise dans les pays émergents, présentés comme gratuits, ne le seraient pas vraiment.
Dans les mémos internes que s’est procuré le quotidien américain – qui ne proviennent pas de ceux publiés par l’ancienne cadre du groupe -, des employés du groupe alertent leur hiérarchie sur des problèmes de facturation de clients sur des interfaces « text-only » accessibles via Discover. Cette application de connectivité permet à ses utilisateurs d’accéder gratuitement à une version textuelle de n’importe quel site, jusqu’à un certain plafond de données quotidien défini par l’opérateur. Problème : les opérateurs ont quand même facturé de nombreux clients, qui s’en sont rendus compte assez tardivement en raison des forfaits prépayés assez répandus dans les pays concernés.
Meta a qualifié ce problème de « fuite », car les services payants « fuient » dans les applications et services gratuits. Ce fut le cas de vidéo, notamment, qu’il était possible de visionner depuis l’interface sans qu’aucune indication ne mentionne le fait que le forfait data serait alors ponctionné. Un problème qui n’a fait que s’amplifier jusqu’aux mémos internes. Ainsi, de juillet 2020 à juillet 2021, les frais facturés par les opérateurs de téléphonie mobile aux utilisateurs des services gratuits de Facebook ont atteint un total estimé de 7,8 millions de dollars (7 millions d’euros) par mois, contre environ 1,3 million de dollars un an plus tôt, note le WSJ.
Un porte-parole de Meta a assuré au journal que le problème était en cours de résolution, et que désormais, l’affichage de ce qui est gratuit et ce qui ne l’est pas est bien plus clair.
Connecter les personnes et s’ouvrir de nouveaux marchés
« Au XXIe siècle, développement mondial et connectivité mondiale sont intimement liés. Si vous voulez aider les gens à se nourrir, se guérir, s’éduquer et trouver un emploi partout dans le monde, il faut connecter le monde. Internet ne devrait pas appartenir à seulement trois milliards de personnes, comme c’est le cas aujourd’hui. Il devrait être considéré comme un impératif pour le développement. » C’est ce que déclarait Mark Zuckerberg en 2015 dans une tribune au New York Times. Le patron du groupe est coutumier de ce genre de déclaration, qu’il renouvelle à l’envi. Mais depuis le lancement de Free Basics, en 2013, la mise en œuvre de ce dessein louable par la société suscite critiques et mises en garde.
Outre la remise en question de la neutralité du net – sur laquelle le programme Free Basics s’est cassé les dents en Inde en 2016 – les interrogations se portent sur la finalité du projet. Car, évidemment, qui dit individus connectés, dit nouveaux marchés. Les possibilités sont considérables : alors que le nombres d’abonnés à internet a atteint un plafond quasi indépassable aux Etats-Unis et en Europe, les pays densément peuplés d’Asie du Sud-Est (Philippines, Indonésie…) mais aussi ceux d’Afrique subsaharienne offrent des viviers de potentiels clients (pour Meta et ses partenaires) très importants.
Promotion d’offres risquées
Si dans son article, le Wall Street Journal ne mentionne pas de pays africains affectés par la « fuite » de vidéos dans la partie gratuite de l’offre, une note pointe en revanche une politique d’incitation à la consommation de data en cours au Nigeria, où le programme Free Basics est toujours en vigueur.
Dans le plus peuplé des pays africains, Meta pousserait les utilisateurs de ses services gratuits à s’éloigner des forfaits prépayés pour opter pour des offres de paiement à la consommation, la norme dans les pays occidentaux. L’entreprise aiderait ainsi l’opérateur MTN NG à « montrer [ce type d’offres] au plus grand nombre de personnes possible en augmentant les paramètres d’éligibilité ». Une pratique, dénoncée par un ancien cadre, qui fait planer le risque de l’endettement.
Free Basics et Discover, quelles différences ?
Free Basics | Discover |
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Accès limité à certains sites, dont Facebook | Pas de restrictions d’accès. Tout le web en version simplifiée est potentiellement accessible |
Aucune limite de données | 10 (à 15) Mo / jour |
Sites proposés par les créateurs pour une approbation et inclusion par Facebook | Sites automatiquement modifiés par Facebook |
Autres contenus : images dégradées, JavaScript bloqué et liens limités | Autres contenus : “La vidéo, l’audio ou certains autres types de contenus gourmands en données, comme le transfert de fichiers”, ne sont pas pris en charge. |
Finalement, avec Discover, Meta retombe dans les travers de Free Basics. Ce que pointait déjà une étude réalisée à l’été 2020. Dans celle-ci, on pouvait lire que Discover, malgré la promesse d’épurer le web proposé pour optimiser la consommation de données, avait tendance à privilégier (encore) certains services de Meta. De son côté, à l’été 2019, Free Basics était encore présent dans 28 des 54 pays africains.