La désinformation, à l’approche d’élections cruciales, ne connaît pas de frontières, physiques ou virtuelles. Nouvelle preuve au Kenya, alors qu’un scrutin présidentiel important doit se tenir le 9 août prochain. Et c’est la Fondation Mozilla qui tire la sonnette d’alarme. Car sur TitTok, les fake news pullulent, et c’est là la première information : après Twitter et Facebook, le réseau social chinois est devenu le nouveau lieu d’affrontement des partis et courants politiques, dont certains membres n’hésitent pas à travestir la réalité pour faire pencher l’opinion de leur côté. Une désinformation qui viole au passage les propres règles de la plateforme.
Pour affirmer cela, les équipes de la Fondation Mozilla se sont appuyées sur un échantillon de contenus problématiques, plus de 130 vidéos provenant de 33 comptes qui ont été visionnées collectivement plus de 4 millions de fois. La conclusion est sans appel : les discours de haine et les incitations aux violences interethniques prolifèrent. Et dans un pays qui a déjà connu des violences post-électorales particulièrement meurtrières – près de 1000 morts au lendemain de la présidentielle de 2007 -, cela est particulièrement inquiétant.
« La présidentielle au Kenya est le premier véritable test de TikTok dans un processus démocratique africain, affirme le rapport. Lors des élections précédentes, l’attention s’est concentrée sur des plateformes telles que Facebook et Twitter et leur rôle démesuré dans la politique kényane. » En mars dernier encore, Mozilla pointait une campagne particulièrement virulente sur le réseau social à l’oiseau bleu, menée par l’association d’ultra-droite CitizenGo, et qui visait les politiciens kényans engagés dans la promotion de deux projets de loi centrés sur la santé des femmes et la reproduction.
Au Kenya, plus de 60% des utilisateurs âgés de 16 à 64 ans, interrogés dans le rapport Digital 2022 de Hootsuite, utilisent TikTok chaque mois, note le site Rest of World. Mais ce n’est plus cette plateforme pour jeunes adolescents amateurs de dance. « Par exemple, les hashtags #siasa et #siasazakenya (qui se traduisent respectivement par « politique » et « politique kényane ») ont plus de 20 millions de vues sur la plateforme, relève Mozilla. Les meilleures vidéos sur ces hashtags ont près d’un million de vues. »
Les vidéos pointées dans le rapport contenaient « des menaces explicites de violence ethnique » ciblant spécifiquement les membres des communautés ethniques basées dans la région de la vallée du Rift. « Dans un cas, peut-on lire, un clip vidéo montrant William Ruto (l’actuel vice-président et candidat à la présidence) prononçant un discours lors d’un rassemblement avait pour légende “Ruto déteste les Kikuyus et veut se venger d’ici 2022”. La vidéo a été largement diffusée sur TikTok et a été vue plus de 445 000 fois sur sa plateforme. »
Manque de contexte et politique du chiffre
Plus que la prolifération d’infox ou de discours haineux, c’est la passivité du réseau social qu’interroge la Fondation Mozilla. Ses auteurs expliquent qu’une réponse est sûrement à chercher du côté des biais contextuels. Les personnes chargées de gérer / supprimer les contenus sur TitTok ne sont pas forcément familier avec le contexte culturel ou politique de ceux-ci. Une modératrice explique ainsi : « J’ai dû à un moment modérer des vidéos qui étaient en hébreu alors que je ne connaissais ni la langue ni le contexte. Tout ce sur quoi je pouvais compter était l’image, mais je ne pouvais pas modérer tout ce qui était écrit. » A cela s’ajoute une politique du chiffre, qui permet peu de s’attarder sur un contenu douteux.
Si à la suite de la publication du rapport, certaines vidéos incriminées ont été supprimées par la plateforme, ces révélations ne sont pas sans inquiéter la société civile kényane, qui voit le spectre des violences électorales se rapprocher. (Photo de Une : rapport Mozilla)