La pandémie est aussi un prétexte pour restreindre les libertés numériques en Afrique, dénonce la Cipesa

C’est un rapport au vitriol qu’a présenté l’organisation Collaboration on International ICT Policy for East and Southern Africa (Cipesa), lors de la septième édition du Forum annuel sur la liberté d’Internet en Afrique (FIFAfrica), qui s’est tenue du 28 au 30 septembre. Le nouveau State of Internet Freedom in Africa met ainsi l’accent sur les atteintes aux libertés numériques des Africains en ces temps de pandémie, et n’est pas tendre avec les gouvernements – et les sociétés privées – impliqués dans celles-ci.

Premier constat de la Cipesa : la lutte de différents gouvernements contre les fausses informations sur le coronavirus véhiculées sur les réseaux sociaux, a pu se traduire par des mesures particulièrement néfastes pour la libre expression sur internet. Les exemples ne manquent pas. Le cas de l’Ethiopie, qui a passé une loi en mars 2020 de « prévention et de répression des discours de haine et de la désinformation » est assez emblématique puisque les définitions contenues dans celle-ci sont suffisamment larges pour permettre aux autorités de faire condamner les auteurs d’à peu près n’importe quel discours polémique.

L’Algérie aussi a promulgué une loi similaire, modifiant son code pénal, et qui criminalise la diffusion de « fausses nouvelles » jugées préjudiciables à « l’ordre public et à la sécurité de l’État ». Un loi perçue comme liberticide par Reporters sans frontières, destinée à « museler un peu plus la liberté de la presse ».

« Le Kenya, le Niger, le Burkina Faso, le Sénégal, la Zambie, l’Egypte, le Cameroun et le Nigeria ont continué à appliquer les lois existantes avec des dispositions répressives pour limiter la liberté d’expression pendant la période de Covid-19 », note aussi le rapport. Le cas nigérien, donc nous avons déjà parlé sur Teknolojia, est assez éloquent puisqu’à une loi sur la « cybercriminalité » votée à l’été 2019, et pénalisant la diffusion de « données de nature à troubler l’ordre public », s’en est ajoutée une autre, facilitant l’interception des communications.

Arrestations et suspensions

Ces dispositions ne sont pas restées sur le papier. Elles sont été appliquées, avec plus ou moins de zèle (souvent plus). Ainsi la Tanzanie, note le Cipesa, s’est imposée « comme le leader parmi les pays où les atteintes aux libertés les plus graves ont été constatées ». En avril 2020, les autorités tanzaniennes ont arrêté et inculpé au moins quatre personnes pour avoir publié des informations jugées non officielles sur le Covid-19. Des journalistes et des médias ont aussi été suspendus ou condamnés à des amendes.

Au Maroc, en mars dernier, au moins une douzaine de personnes ont été arrêtées pour avoir propagé des « rumeurs » sur internet. Et le mois suivant, 93 enquêtes étaient ouvertes pour les mêmes motifs.

Surtout, certains pouvoirs ne se sont pas contentés de réduire au silence celles et ceux qui partageaient des informations « non conformes » sur la pandémie, ils en ont profité, affirme le Cipesa, pour écarter certaines voix gênantes, en générale, sur la question des droits humains. Les quarantaines ont pu être ainsi un prétexte pour entraver le travail de médias critiques, comme en Ouganda ou au Kenya.

Un partage inégal des bonnes informations

Ces gouvernements, de l’autre côté, assuraient-ils une bonne information à leurs concitoyens au sujet de la pandémie ? Cela dépend, nuance le Cipesa. L’organisation souligne l’efficacité des mises à jour régulières de l’administration kényane, par exemple, ou du ministère ougandais de la Santé. « Le ministère sénégalais de la Santé s’est également efforcé de mettre à la disposition des citoyens des informations officielles sur la pandémie par l’intermédiaire de son site web. »

► Lire également : Le Sénégal, champion de la communication sur internet face au Covid-19

Mais certains gouvernants ont aussi été dans le déni de la pandémie, affichant des statistiques douteuses. Quand ils n’étaient pas dans le rejet des injonctions de l’OMS, comme le Burundi.

Quid de la protection des données ?

En revanche, là où nombre de gouvernements ont été particulièrement actifs, c’est dans le développement et la promotion de solutions de traçage des malades, ce qui n’est pas sans inquiéter la Cipesa. Ces initiatives sont d’abord passé par la constitution de bases de données, dont la protection n’est pas toujours explicitement garantie.

Puis vinrent les applications. Des applications qui « augmentent le risque d’abus et présentent un risque de réorientation des technologies vers la surveillance de masse après la pandémie », avance l’organisation, qui s’inquiète par exemple, au Burundi, du lancement de l’application CARP, alors même que le pays est dépourvu de toute législation sur la protection des données personnelles. Du côté du Rwanda, on a opté pour un suivi très serré des personnes infectées, notamment grâce aux données téléphoniques des utilisateurs.

D’avril à septembre, l’Afrique du Sud a elle développé plusieurs solutions, qui tantôt suivaient les plus hauts standards internationaux en matière de respect de la vie privée, tantôt non (nous en parlions déjà en avril).

Enfin dans son rapport, la Cipesa note d’autres atteintes aux libertés numériques en Afrique, sans lien avec la pandémie, comme les coupures internet au Togo (février), en Guinée (mars) ou au Mali (juillet). Parfois, les prétextes sont même superflus… (Photo : Gilbert Bwette for CIPESA / FIFAfrica / Flickr)

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