Cet article du professeur Moha Ennaji a été initialement publié sur le site The Conversation à cette adresse.
Pour les migrants sans papiers et les réfugiés, il est vital de disposer de renseignements précis sur tout un ensemble de domaines. Pour cette raison, les smartphones sont devenus un outil important. Ils permettent aux migrants d’accéder à des applications telles que Google Maps, WhatsApp, Facebook et Twitter. Celles-ci peuvent leur fournir des informations précieuses provenant aussi bien des réseaux sociaux que de leurs contacts proches.
Dans une étude récente, mon collègue Filippo Bignami et moi-même avons enquêté sur le rôle des smartphones dans la migration irrégulière. Nous voulions savoir comment ils aidaient les migrants à atteindre leur destination et à quel type d’informations les migrants avaient accès en les utilisant. Nous nous sommes focalisés sur les migrants subsahariens arrivant au Maroc, en particulier dans la ville de Fès, en route vers l’Europe.
Nous avons constaté que les smartphones soutenaient les flux migratoires en offrant aux migrants un accès à des informations en ligne avant et pendant le voyage et à leur arrivée dans leurs pays de destination. Les smartphones ont influencé leurs itinéraires de migration et le choix de leurs destinations. Ils ont également aidé les migrants à partager des renseignements entre eux.
Les smartphones étaient également utilisés par les trafiquants. Ils leur ont permis de contacter des migrants irréguliers potentiels et de leur fournir des informations.
Il ressort de notre étude que les smartphones sont de plus en plus utilisés pour minimiser les risques et relever les défis de la migration. Les décideurs locaux et les acteurs de la société civile peuvent utiliser ces pistes pour mieux accompagner leur voyage et assurer leur sécurité en établissant un dialogue avec eux via des applications pour smartphone.
Rencontre avec les migrants
Nous avons d’abord étudié comment l’utilisation des smartphones et des réseaux sociaux influençait les parcours de migrants. Ensuite, nous avons exploré comment ils ont influencé les décisions concernant leurs destinations. Enfin, nous avons examiné comment ils affectaient le financement de la migration.
Pour ce faire, nous avons mené des entretiens avec 27 migrants de janvier 2017 à mars 2018 et les avons suivis pendant une période comprise entre quatre et huit mois.
Nous avons rencontré les migrants dans les quartiers où ils habitaient, dans les rues et les cafés. Ils nous ont donné des éclaircissements sur leur utilisation de la technologie, les routes migratoires, leurs profils démographiques et socio-économiques, leur vie quotidienne, leurs relations avec la société et leur projet migratoire.
Il était logique pour nous de concentrer notre étude sur le Maroc qui, depuis le milieu des années 2000, est devenu un pays de transit pour de nombreux réfugiés et migrants africains souhaitant rejoindre l’Europe. Ils le font soit par les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, soit par les îles Canaries.
On estime que les migrants viennent de plus de dix pays d’Afrique, en particulier du Nigéria, du Mali, du Sénégal, du Congo, de Côte d’Ivoire, du Togo, de Guinée, du Bénin, du Ghana, du Niger et du Cameroun. Selon le Haut Commissariat au Plan, entre 15 000 et 25 000 migrants africains entrent au Maroc chaque année. Beaucoup ne sont pas en mesure d’achever le voyage et restent coincés au Maroc. Mais chaque année, on estime que plus de 8 000 migrants subsahariens en situation irrégulière se rendent en Espagne.
Influence des smartphones
Nous avons constaté que l’intention de migrer était considérablement encouragée par les technologies mobiles en plus des facteurs traditionnels, tels que les conflits, la guerre civile, les difficultés économiques et l’impact de la famille et des amis.
Les smartphones ont rendu le processus relativement plus rapide et plus fluide. Ils ont guidé les migrants dans leur quête pour atteindre leurs destinations. Par exemple, les migrants ont utilisé Google pour accéder à des actualités ou à des cartes qui leur ont fourni des indications sur les directions à prendre pour atteindre leurs pays de destination. Ces applications pouvaient également indiquer le meilleur moyen ou le meilleur lieu pour le passage des frontières.
Si les migrants étaient en difficulté ou égarés, ils pouvaient utiliser les téléphones pour demander de l’aide. Ils ont utilisé des applications spécifiques comme WhatsApp ou Messenger pour la communication.
Ces applications étaient également essentielles pour que les migrants restent en contact avec leur famille, leurs amis et les passeurs. Outre le soutien émotionnel, c’était un moyen important pour les migrants de continuer à financer leurs voyages. Comme l’a déclaré une personne interrogée :
« Lorsque j’ai besoin d’argent, je passe un appel à mes parents via WhatsApp, et ils l’envoient par Western Union très rapidement. »
Les téléphones permettaient également la coopération et la communication entre les migrants. Ils s’entraidaient pour choisir les itinéraires les plus sûrs et partager d’autres informations.
L’accessibilité des smartphones a rendu certains migrants plus confiants et indépendants. En raison de leur accès à l’information, certains ont pu effectuer leurs voyages sans avoir recours à des passeurs. Une fois arrivés à destination, ils partagent des informations et des photos sur leur voyage – et sur la façon dont ils ont réussi à traverser les frontières –, ce qui motive davantage de jeunes à migrer.
Et ce ne sont pas seulement les migrants qui les utilisent. Les téléphones intelligents permettent aux trafiquants de recruter des immigrants potentiels et de diffuser rapidement des renseignements.
Nouvelles opportunités
Les technologies mobiles transforment les sociétés, les processus de migration, la vie des migrants, leurs aspirations sociales et les mouvements migratoires.
Les informations que nous avons recueillies pourraient être utilisées pour élaborer des politiques visant à protéger les droits des migrants et à réviser les réglementations actuelles de manière à mieux intégrer les migrants dans les établissements d’enseignement, de soins de santé et de logement, sur le marché du travail et dans d’autres secteurs. (Photo : Essaouira au Maroc. Tiberio Frascari / CC)