Comment Google et Facebook veulent transformer les télécoms en Afrique

Alors qu’Orange Marine a officialisé l’atterrissement, sur la côte ouest de la France, de Dunant, tout premier câble sous-marin 100% détenu par Google à desservir l’Europe, le géant américain lorgne aussi sur l’Afrique. Son futur câble Equiano devrait relier le Portugal au Nigeria et à l’Afrique du Sud en 2021. Facebook, lui, envisage même d’encercler tout le continent avec son futur câble Simba.

Traditionnellement construits et opérés par des consortiums d’opérateurs de télécommunications, les câbles sous-marins, qui font transiter 99% de l’internet mondial, ont capté l’intérêt de nouveaux acteurs privés ces dernières années, d’abord des entreprises locales, comme Glo ou MainOne au Nigeria, puis les géants de l’internet, comme Google, Microsoft ou Facebook. Leur point commun : ils ne s’embarrassent pas d’investisseurs extérieurs et financent tout de A à Z.

L’idée de voir arriver deux nouveaux câbles sous-marins connectant l’Afrique au reste du monde est « globalement une bonne chose », assurent Peter Micek et Eleanor Sarpong, représentant deux ONG luttant pour un meilleur accès à l’internet, respectivement Access Now et l’Alliance for affordable internet (A4AI). D’autant plus que les Gafam parviennent généralement à offrir des connexions ultra-performantes, comme l’illustre le câble Marea, propriété de Microsoft et Facebook, qui relie Biblao en Espagne à Virginia Beach aux Etats-Unis à des vitesses allant jusqu’à 26,2 terabits/seconde – un record !

Des investissements motivés par une économie du cache

Au-delà d’opérer un véritable changement de modèle d’affaires dans le secteur des câbles sous-marins, Microsoft, Google et Facebook – et, dans une moindre mesure, Amazon – n’en construisent pas pour les mêmes raisons. « Les opérateurs traditionnels achètent de la bande passante pour la vendre à leurs utilisateurs, indique Julian Rawle, consultant indépendant dans le secteur des câbles sous-marins de fibre optique. En Afrique, cela concerne notamment la donnée mobile. » Parmi eux, certains gros poissons, comme Orange, ont également développé des services additionnels s’appuyant sur cette connectivité – « Une bonne partie du business model international d’Orange est basée sur le mobile money en Afrique », insiste François Lacombe, ingénieur télécoms, ancien d’Orange et fondateur du site Infos-réseaux.com. Ces opérateurs ont donc « tout intérêt à profiter de ces capacités de câbles sous-marins et à maîtriser la chaîne de bout en bout ». Ils se fédèrent en consortiums parce qu’ils n’ont pas les moyens de financer entièrement une infrastructure de câble de fibre optique sous-marin de milliers de kilomètres.

Google et Facebook, eux, ne vendent pas l’accès à internet – quoique le second ait essayé d’en offrir. Ils fournissent des services financés par la publicité. L’objectif de Google n’est donc pas dirigé par les pays dans lesquels la firme est implantée, comme c’est le cas pour les opérateurs, mais par les datacenters qu’elle a construits sur le continent. « Google opère du cache partout dans le monde. C’est pourquoi ses services sont si rapides, détaille Stephen Song, spécialiste des câbles sous-marins en Afrique. Cette technique lui est permise car l’entreprise a construit de nombreux datacenters, dans lesquels elle a installé des réseaux de diffusion de contenu (content distribution network en anglais, ou CDN). Pour que ces derniers fonctionnent efficacement, ils doivent être constamment rafraîchis. Plus de la moitié du trafic qui transite via les câbles sous-marins de fibre optique dans le monde ne va pas d’une personne à l’autre mais d’une personne à un datacenter, où est stocké le cache, géré par Google, Facebook et d’autres. »  Posséder des câbles sous-marins permet donc à Google et Facebook de ne pas dépendre des opérateurs et, partant, d’élargir leur mainmise sur l’ensemble de l’infrastructure internet.

Une station d’atterrissement construite par Liquid Telecom en RDC pour Equiano ?

Pourtant, les Gafam sont encore très dépendants des opérateurs traditionnels : « Le but de Google avec Dunant, qui reliera bientôt les Etats-Unis à l’Europe, est d’atteindre son datacenter en Belgique, rappelle François Lacombe. Mais, une fois sur les côtes de Vendée, en France, Google ne peut pas se permettre d’accéder à la Belgique tout seul. Il n’a pas l’infrastructure terrestre. Il a donc dû conclure des partenariats avec les opérateurs locaux, Orange pour la France, Verizon pour les Etats-Unis. »

Le même processus semble se dessiner en Afrique. En République démocratique du Congo, notamment. Troisième pays le plus peuplé d’Afrique, la RDC compte parmi les pires infrastructures internet terrestres du continent, selon plusieurs experts interrogés par Teknolojia. « Liquid Telecom, un fournisseur d’accès internet privé, basé en Afrique du Sud, qui possède déjà un réseau terrestre de fibre optique en RDC, vient de recevoir l’autorisation de construire une station d’atterrissement sur la côte congolaise », nous apprend Julian Rawle. Si rien n’est confirmé à ce jour, celle-ci serait consacrée à accueillir Equiano, le futur câble de Google, selon le spécialiste. Google aurait donc probablement signé un accord avec Liquid Telecom pour relier la RDC au trois autres pays accueillant Equiano (Portugal, Nigeria et Afrique du Sud).

Google veut faire plier les opérateurs

Face à cette dépendance des acteurs traditionnels des télécoms, Google et Facebook semblent avoir choisi deux approches très différentes, selon Jean-Luc Vuillemin, directeur des réseaux et services internationaux d’Orange. « Equiano est un câble direct donc il arrivera sur le marché très vite. Simba, beaucoup plus complexe car il fera tout le tour de l’Afrique, regroupe une vingtaine d’acteurs. Il arrivera certainement plus tard mais aura une granularité de desserte bien plus importante. »

S’il serait prématuré de juger le projet de Facebook à cette heure, étant donné le peu d’informations qui ont été révélées, Google, lui, semble avoir retourné la relation d’interdépendance à son avantage. Ce qui inquiète fortement Stephen Song : « De ce que j’en comprends, les opérateurs qui voudraient relier le pays dans lequel ils opèrent à Equiano, devraient payer pour le raccordement. Soit. Mais ils n’en seraient pas pour autant les propriétaires, et c’est problématique. Pire, il serait prévu qu’un seul opérateur pose le câble dans chaque pays. C’est une très mauvaise idéé ! Cela créerait un avantage économique terriblement déloyal pour cet opérateur unique et fausserait la concurrence sur le marché. Ce nouveau modèle d’affaires ne bénéficiera ni aux pays ni à leurs opérateurs nationaux. »

Produire et consommer local

Pour éviter de laisser les Gafam dicter les règles du jeu des télécommunications à l’avenir, le spécialiste et le directeur d’Orange préconisent la même stratégie : que les Etats et les opérateurs locaux développent un réseau de datacenters afin de réduire leur dépendance au trafic international. Consommer local, en somme. Jean-Luc Vuillemin voit d’ailleurs d’un très bon œil l’initiative Smart Africa, lancée dans divers pays pour garder la valeur des communications africaines en Afrique.

« Toutefois si vous continuez à utiliser principalement les services de Google et de Facebook, cela n’a pas vraiment d’importance. Ce qui est essentiel, en complément de la construction de datacenters, c’est d’avoir des applications et des fournisseurs de services locaux pour fournir des services locaux, tranche Stephen Song. Dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, les opérateurs offrent des réductions et du zero rating aux entreprises de la Silicon Valley, comme WhatsApp. Pourquoi font-ils cela ? Parce que leur objectif est d’avoir plus de clients et que c’est offres attirent les nouveaux clients. Il existe d’excellentes applications de messagerie africaines mais elles n’ont aucune chance à l’heure actuelle, parce que les opérateurs locaux favorisent WhatsApp et Facebook.  Pourquoi ne pas leur accorder à elle aussi, un zero rating ? »

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