Elles vous permettent de faire des courses, communiquer avec vos amis, organiser vos futurs covoiturages… les super-apps ont le vent en poupe sur la planète, et l’Afrique ne fait pas exception. Bien qu’elles se répandent auprès des utilisateurs, c’est surtout auprès des investisseurs que l’on mesure leur potentiel : la dernière levée de fonds de la togolaise Gozem, dont on vous parlait dans notre dernière newsletter, en est la plus récente illustration. Les acquisitions, comme celle de la dubaïote Careem par Uber, se multiplient également. Cette tendance est confirmée par un rapport de Economist Impact, la branche de recherche et d’analyse de The Economist Group, commandée par Mastercard Moyen-Orient et Afrique. Selon cette étude, l’Afrique mais également le Moyen-Orient sont des terreaux fertiles pour le développement de super-apps.
Celui-ci dresse d’abord un bilan : si les super-applications locales prolifèrent dans la région MEA (Moyen-Orient et Afrique), « les grands acteurs interrégionaux restent peu nombreux. Des entreprises telles que Careem, basée à Dubaï, se sont imposées comme des champions locaux, étendant leurs activités de la course à la livraison de produits alimentaires et aux paiements. D’autres entreprises ont recherché des partenariats pour étendre leurs capacités, comme Vodacom en Afrique du Sud, qui s’est associé à AliPay d’Alibaba, une autre super-app populaire chinoise, pour lancer VodaPay en mai 2021. Les montants des acquisitions pour les applications régionales – de 500 millions de dollars US (iFood) à plus de 3 milliards de dollars US (Careem) – laissent entrevoir un marché de valeur. »
.@GozemAfrica has now completed over 4,000,000 trips across #Togo, #Benin & #Gabon since our November 2018 launch in Lomé if you can believe it! 🥳🥳🥳
— Cécilia (@CecyCoco) July 1, 2021
Well done 👍🏾 pic.twitter.com/qTwx8e3BvG
Les super-apps ont ainsi de sérieux atouts de séduction pour les populations moyen-orientales et africaines. D’abord parce que ces dernières, qui ont très rapidement adopté le mobile, sont de plus en plus équipées en smartphone. « L’une des principales caractéristiques de la région MEA est la disponibilité et l’utilisation accrues des smartphones bas de gamme. Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (MENA), le nombre d’abonnements mobiles devrait atteindre 565 millions d’ici 2025, note l’étude. […] Bien qu’elle reste élevée en termes absolus, la présence des smartphones en Afrique subsaharienne est plus faible – le nombre de connexions par smartphone devrait atteindre 678 millions en 2025, avec un taux de pénétration de 65%. » Mais ce taux ne cesse d’augmenter : « Au Nigeria, par exemple, la pénétration des smartphones est passée de 20% en 2016 à 48% à la mi-2020, et devrait atteindre près de 60% en 2025. »
Autre avantage, qui repose en fait sur un réel inconvénient : le coût des données. Vous avez pu le lire maintes fois ici, l’Afrique se singularise par un coût moyen très élevé de la data. L’écart entre pays peut aussi être abyssal. Les utilisateurs équato-guinéens peuvent payer leur Go jusqu’à 43 euros, quand ceux du Tchad, du Bénin ou du Malawi doivent débourser plus de 20 euros, selon les rapports annuels du britannique Cable.co.uk– un classement d’ailleurs contesté. Il faut aller dans l’est du continent pour trouver une data plus “abordable”. Réduire la consommation de plusieurs applications en en utilisant qu’une seule paraît donc être un bon remède.
D’ailleurs, ce n’est pas le seul. Face au faible tôt de bancarisation dans une majorité de pays africains, les super-apps apparaissent aussi comme une solution, assurent les auteurs du rapport. En proposant un éventail de services (dont un accès à l’épargne et au crédit) à un faible coût, ces dernières peuvent consolider les finances de nombreuses familles africaines.
L’obstacle de l’harmonisation des politiques
Alors, les super-apps, nouvel eldorado de la Tech en Afrique ? Si seulement c’était aussi simple. Car le continent n’a pas que des avantages à leur développement. Les obstacles sont aussi de taille, au premier rang desquels figure la manque d’harmonisation des politiques nationales au sein d’une même région (sur le commerce, la fiscalité, les données…). « Bien que l’Union africaine et le Conseil de coopération du Golfe encouragent l’harmonisation des politiques industrielles et des politiques en matière de données, concède le rapport de Economist Impact, la fragmentation actuelle représente un lourd fardeau opérationnel, juridique et financier pour les super-applications qui cherchent à étendre leur portée. » Un environnement que ne connaissent pas les super-apps chinoises, souvent étigées en exemple comme WeChat, qui bénéficient elles d’un cadre règlementaire homogène.
Les données, elles-mêmes, font défaut. Ce manque de disponibilité est le résultat d’un double phénomène : le premier, déjà évoqué, est le défaut de politique commune dans le partage de données entre les différents pays d’une même région, surtout si ceux-ci n’ont pas une taille démographique conséquente, à la différence de l’Egypte et du Nigeria. L’autre phénomène est un problème évoqué largement sur Teknolojia : le manque d’infrastructures de télécommunications pénalisant la connectivité sur le continent. Or, sans données, difficile de connaître les préférences des utilisateurs, de consolider ses services ou d’en développer de nouveaux.
Alors, quel futur pour les super-apps en Afrique ?
Les super-apps ont une force indéniable : la flexibilité. Il est rare que l’on lance, ex nihilo, une super-application qui investisse, dès le premier jour, plusieurs domaines à la fois. Les super-apps ont d’abord commencé par occuper un secteur avant de partir à l’assaut d’autres, fortes de la confiance accordée par leurs utilisateurs. L’algérienne Temtem a ainsi commencé comme une application de covoiturage, avant de lancer, tout récemment, Temtem ONE, intégrant en plus le commerce électronique, le transport et la livraison.
L’étude insiste ainsi sur la nécessité de respecter une certaine contiguïté entre les services, et d’évoluer en permanence. Mais il semble y avoir certains impératifs. « Il est pratiquement impossible d’imaginer une super-app sans une solide infrastructure de paiement. Étant donné que les paiements sont au cœur de toutes les transactions commerciales sur lesquelles les super-apps ont tendance à se concentrer, les services dotés d’une colonne vertébrale de paiement – des sociétés telles qu’Alipay, par exemple – ont particulièrement bien réussi à étendre leur portée à de nouveaux secteurs d’activité. »
Si la messagerie, l’e-commerce, les transports et la livraison sont des territoires connus, d’autre méritent d’être explorés, selon les spécialistes de The Economist Group : l’assurance, le prêt automobile, le crowdfunding ou encore le prêt ou la location immobilière. Autant de possibilités de nouvelles conquêtes qui nécessiteront d’abord d’être solides sur ses bases afin de garantir à l’utilisateur que le service qu’il connaît sera au rendez-vous des futures extensions. (Photo : JoshuaWoroniecki / Pixabay)