Il y a deux semaines, nous vous parlions d’une petite révolution dans le mobile money africain : en forte croissance depuis plusieurs années, le service dédié de MTN, MTN MoMo, est devenu le plus populaire en Afrique, damant le pion à l’historique M-Pesa de Safaricom, pourtant pionnier sur le continent. Nous revenons sur ce secteur aujourd’hui à l’occasion de la publication du rapport annuel de la GSMA, le groupement mondial des opérateurs. Un document toujours riche d’enseignements, particulièrement pour l’Afrique où “l’argent mobile” est dans les usages depuis près de 15 ans.
Commençons par évoquer les grandes lignes, qui confirment des tendances lourdes : oui, l’Afrique tire toujours le mobile money dans le monde. Et si la barre du billion de dollars en transactions a été franchie en 2021, on le doit beaucoup aux Africains, qui sont à l’origine de 70% de ce montant. Il faut dire que sur les 1,3 milliard de comptes déclarés l’année dernière autour de la planète, près de la moitié l’ont été en Afrique. Autre confirmation : l’Afrique de l’Est mène le continent pour ce qui est du volume des transactions (403M de dollars, soit 365M d’euros), et l’Afrique de l’Ouest pour ce qui est de la vitesse d’adoption de ces services (nouveaux comptes, nombre d’opérations…). Ainsi, dans cette sous-région, le nombre de comptes ouverts a augmenté de 20%, le nombre d’opérations de 27% et le montant des transactions de 60% !
Autre tendance lourde relevée par la GSMA : la diversification des usages, qu’accompagne (ou que permet) une diversification des offres, au-delà des traditionnels transferts et retraits d’argent. Globalement, le mobile money est mieux intégré au système financier que l’on pourrait qualifier de classique, l’interopérabilité avec les banques traditionnelles se renforce. Les flux entrants et sortants se diversifient. A l’échelle mondiale, les paiements marchants explosent pour atteindre près de de 60 milliards d’euros. L’adoption par les TPE/PME progresse également : c’est le cas notamment au Ghana, grâce à une règlementation incitative. Versements de salaires et paiements de factures sont également en hausse.
En Afrique, on scrute particulièrement l’évolution de trois types de services, que proposent désormais, au niveau mondial, 44% des opérateurs de mobile money : l’épargne, le crédit et l’assurance. Notamment car dans de nombreuses zones du continent, où l’Etat et le système financier traditionnel sont défaillants, cela participe grandement à accroître l’inclusion financière des populations, en leur permettant d’anticiper l’avenir. Certains pays africains se distinguent dans ce domaine : au Kenya, par exemple, plus d’un tiers des utilisateurs de mobile money en font usage pour demander un prêt. Plus d’un utilisateurs nigérian sur deux s’en sert pour épargner.
Des trois types de services mentionnés plus haut, l’assurance est le moins entré dans les usages – c’est aussi le plus récent. Seulement 3% des utilisateurs sénégalais y ont par exemple recours. Le succès des assurances vie / décès et accident, la croissance des offres sur le secteur agricole (récoltes, intempéries) combinés à des offres toujours plus poussées, fruits de partenariats entre startups et opérateurs montrent que le potentiel de croissance est bien là. Quoiqu’il en soit, et c’est un autre enseignement du rapport, la pandémie et son lot d’incertitudes ont accéléré le recours à ces services.
Des taxes sur le mobile money contreproductives
Evidemment, tout n’est pas rose au royaume de mobile money africain. Si vous êtes abonné(e) à notre newsletter hebdomadaire, vous le savez : en une dizaine d’années, nous sommes passés d’une règlementation assez légère, voire quasi-inexistante – il aura fallut attendre 7 ans pour que le Kenya légifère sur M-Pesa -, à des envies, parfois, de taxation tous azimuts.
« Qu’il s’agisse de stimuler l’investissement, de faciliter le développement de nouveaux services ou de réduire les coûts pour les consommateurs, les régulateurs ont joué un rôle essentiel pour permettre à des millions d’habitants […] d’accéder à des services qui améliorent leurs conditions de vie grâce aux paiement », note le rapport. Mais la popularité du mobile money allant croissant, plusieurs pays africains y ont vu un bon moyen de renflouer les caisses de l’Etat. C’est le cas de la Tanzanie, de l’Ouganda ou encore de la Côte d’Ivoire. Le Cameroun s’y est aussi essayé récemment, provoquant une bronca nationale. « Les taxes sectorielles de cette nature renchérissent les frais d’opération et alimentent l’économie informelle (basée sur les espèces) en incitant les consommateurs à éviter le mobile money, regrette la GSMA. Elles ont un impact disproportionné sur les pauvres et alourdissent également la charge fiscale des prestataires de mobile money, ce qui décourage d’investissement dans le secteur. »
Des inégalités hommes-femmes qui perdurent
L’étude de la GSMA souligne aussi que l’écart dans les usages, entre hommes et des femmes, perdure. Disons-le d’emblée, les pays africains étudiés sur cette question sont parfois mieux lotis que d’autres, comme l’Inde ou le Bangladesh. Mais tout de même, si le mobile money se diversifie, incluant de plus en plus des services d’épargne, de crédit et d’assurance dans les offres, une part non négligeable d’Africaines n’y ont pas accès. Elles sont ainsi 14% moins nombreuses à détenir un compte que les hommes au Sénégal, 35% moins nombreuses en Egypte, et jusqu’à 46% au Nigeria. Ces proportions augmentent fortement dans les campagnes africaines – jusqu’à 71% dans les zones rurales nigérianes.
Alors, quels sont les obstacles ? La détention d’un portable (écart de 5 à 8%), et la connaissance de ce qu’est le mobile money (écart de 1 à 6%) en sont, mais ils ne semblent pas les plus importants, si l’on s’en tient aux données de la GSMA. Ce qui ressort des entretiens menés par l’organisation concerne plutôt le niveau d’alphabétisation, l’utilisation de comptes de proches (famille ou amis) et le manque d’argent en général au Sénégal ; les habitudes bien ancrées vis-à-vis de l’argent liquide en Egypte ; ou encore le manque de connaissances sur le fonctionnement au Nigeria. Fait positif : lorsque les Africaines possèdent un compte, elles sont nombreuses à s’en servir fréquemment. “La probabilité qu’elles l’aient utilisé au cours des 30 jours précédents est proche de celle des hommes”, relève le rapport. Les Nigérianes sont mêmes plus actives que leurs compatriotes masculins. Ce n’est donc pas l’envie (et le besoin) qui manque.
Si les inégalités persistantes et les tentations des taxes grèvent les retombées du mobile money, notamment en Afrique, « l’année 2021 a apporté la preuve que sa couverture et sa puissance pouvaient contribuer à bâtir un monde plus inclusif », note la GSMA en conclusion.