Tech africaine : que retenir de 2021 et qu’attendre de 2022 ?

Que faut-il retenir de 2021 pour le secteur des nouvelles technologies en Afrique ? C’est à cette question que nous allons tenté de répondre dans cet article. Un exercice auquel nous nous livrons chaque année : une sélection d’abord publiée dans notre newsletter avant de l’être sur le site. Des censures en Ouganda ou au Burkina à la bonne santé de l’écosystème startup égyptien, de l’échec des « ballons à internet » de Google à la grande bataille pour le secteur des télécoms éthiopien, petit coup d’œil dans le rétro avec les dix informations à retenir de 2021. Et tentative de prévision pour 2022.

1. Startups : une excellente cuvée 2021

C’est peut être contre intuitif au vu de l’année sombre qui vient de se terminer, faisant peser un lourd fardeau aux économies du continent, mais les startups africaines se portent bien. Très bien même, puisque, en cette fin d’année, la nouvelle base de données Africa: The Big Deal et le cabinet britannique Briter Bridges se sont affrontés sur le terrain des chiffres pour savoir combien de dollars ont été levés par les startups du continent. La première s’enthousiasme de quatre milliards tandis que le second affirme que ce montant s’élève à cinq. Une relance qui était déjà prévue par le fonds Partech, qui avait remarqué la bonne résistance des startups africaines en 2020 malgré la pandémie de Covid-19. Et 2021 nous a même amené une nouvelle licorne nigériane, Flutterwave, et une toute première pour l’espace francophone, la sénégalaise Wave.

Et en 2022 ? Il y a de bonnes raisons de penser que cette nouvelle année viendra, elle aussi, avec son lot de nouvelles licornes, de gros rachats et de chiffres record. La vraie question tient peut-être à l’origine du pays de la prochaine startup valorisée à plus d’un milliard de dollars : et si elle ne venait pas du Nigeria ni d’Afrique du Sud, mais d’Egypte ? En tout cas, on pourra suivre tout cela sur le nouveau compteur de licornes africaines de WeeTracker.

2. L’insolente croissance des startups égyptiennes

Cela fait plusieurs années que l’on voit le phénomène prendre de l’ampleur. 2021 en a été la confirmation : l’écosystème startup en Egypte est en pleine forme. Depuis deux trois ans, il s’invite même sur le podium africain, aux côtés de ceux du Nigeria et du Kenya ou de l’Afrique du Sud (cela dépend des rapports). L’année qui vient de s’achever, les jeunes pousses égyptiennes ont encore largement séduit les investisseurs : qu’elles s’appellent Rabbit ou Breadfast (livraison à la demande), Cartona (e-commerce) ou encore MNT-Halan (Fintech ayant levé près de 100 millions d’euros), les douze derniers mois ont plutôt été heureux. Toutes bénéficient des efforts du gouvernement pour poser un véritable cadre (législatif, économique…) à leur développement – ce qui n’empêche pas ce dernier de serrer la vis sur les libertés numériques. Selon le premier rapport que Disrupt Africa a consacré à l’écosystème égyptien, près de 40% des sociétés technologiques du pays sont passées par la case incubateur / accélérateur…

Et en 2022 ? La dynamique de ces jeunes pousses devrait encore se confirmer. D’autant que la Fintech, qui tire habituellement les écosystèmes africains, est en train de prendre le relais de l’e-commerce et du commerce de détails, piliers jusque-là de la croissance.

3. Les « ballons à internet » de Google font un flop

C’était un projet ambitieux et assez gonflé (on était obligés…), porté par l’un des géants de la tech américaine. L’atterrissage fut d’autant plus brutal. Les « ballons à internet » de Google, en Afrique, ont fait long feu. L’idée, qui remonte à 2013, était de diffuser la 4G via des ballons gonflés à l’hélium et volant dans la stratosphère. Une méthode censée remédier à l’absence de connexion dans les campagnes, particulièrement en Afrique. Et les gouvernements n’y sont pas restés insensibles : en avril 2020, le Kenya avait débuté le déploiement à grande échelle de ces montgolfières technologiques, promettant « la 4G pour tous ». Mais en janvier 2021, rétropédalage : la société Loon, filiale d’Alphabet, qui développe le projet, annonce sa fin. Pas assez viable commercialement. En contrepartie, Google annonce des investissements dans l’internet kényan.

Et en 2022 ? Cet échec de la firme de Mountain View n’a en rien entamé sa volonté de connecter l’Afrique. Son projet de câble à fibre optique Equiano, qui doit encercler le continent, est en bonne voie. Une bonne partie du milliard de dollars d’investissement promis par le géant américain à l’Afrique ira là-dedans. Loon est aussi sur un autre projet, baptisé Taara, qui doit apporter internet « par la lumière » cette fois. Des tests concluants ont été effectués en septembre dernier.

(Crédit : Loon)

4. Strive Masiyiwa bâtit sa Big Tech aux couleurs africaines

Ces dernières années n’ont pas été faciles pour Econet, qui a beaucoup souffert des problèmes de devises du Zimbabwe depuis 2019, ce qui lui a même valu d’être sortie du classement des 500 entreprises africaines les plus importantes de Jeune Afrique de cette année. Des déboires qui n’ont pas échaudé Strive Masiyiwa, son fondateur. Celui qui est aussi responsable de l’African COVID-19 Vaccine Acquisition Task Team (AVATT) a fait le nécessaire pour transformer le reste de son business en Big Tech africaine. Liquid Telecom, devenu Liquid Intelligent Technologies, s’active dans la construction d’infrastructures télécoms et multiplie les partenariats sur le continent. L’entité s’ouvre même au reste du monde via Cassava Technologies, nouvelle maison-mère de Liquid et Africa Data Centres, entre autres.

Et en 2022 ? La toute nouvelle société Cassava Technologies s’associe à des géants européen et asiatique pour couvrir de plus en plus de services numériques. Et il se dit même qu’elle pourrait bientôt fusionner avec une entreprise américaine.

5. Nigeria vs cryptomonnaies, une guerre vaine ?

Côté cryptomonnaies, l’année 2021 a été celle de tous les records pour l’Afrique. Plus grand projet blockchain du monde avec Cardano en Ethiopie, pays enregistrant le plus haut taux d’adoption des cryptomonnaies avec le Nigeria, continent comptant le plus de transactions en bitcoin, mais aussi l’une des plus grandes fraudes aux cryptos avec Africrypt. Pour autant, rien n’a fait plus la Une que l’interdiction pure et simple des crypto-actifs par la banque centrale du même Nigeria dès février, et l’inauguration du e-naira en octobre. Avec cette double attaque contre les cryptomonnaies, le régime de Muhammadu Buhari adopte la même stratégie que le géant chinois.

Et en 2022 ? Que cette approche soit efficace, rien n’est moins sûr. Il est trop tôt pour évaluer l’adoption du e-naira mais l’utilisation des plateformes d’échanges de cryptomonnaies décentralisées, elle, n’a pas vraiment été affectée par l’interdiction. Il en faudra un peu plus pour qu’elle le soit durant l’année qui se profile…

6. MainOne, symbole des appétits étrangers pour l’Afrique

2020 avait son Paystack, 2021 a eu son MainOne. Pour la deuxième année consécutive, une société de la Tech nigériane a attiré un géant américain. En rachetant la société fondée par Funke Opeke pour 320 millions dollars, soit 283 millions d’euros, c’est au marché des datacenters que s’intéresse le californien Equinix. MainOne possède bientôt quatre infrastructures de ce type et son terrain serait « suffisant pour [en] construire dix autres », a déclaré Judith Gardiner, vice-présidente d’Equinix pour les marchés émergents. Mais MainOne, c’est aussi 7 000 km de fibre optique sous-marine, 1 200 km de fibre optique terrestre et 800 clients parmi lesquels de grandes entreprises technologiques internationales, des sociétés de médias sociaux, des opérateurs de télécommunications mondiaux et des sociétés de services financiers et des fournisseurs de cloud.

Et en 2022 ? Si l’opération permet au géant du datacenter de s’implanter sur le seul marché sur lequel il était absent jusque-là, le nombre d’infrastructures existantes du nigérian paraît bien dérisoire pour un si grand acteur. Mais c’est peut-être une bonne nouvelle puisque tout reste à faire. « Nous allons lancer un plan d’expansion dans la région » dès 2022, a justement annoncé Judith Gardiner.

7. Safaricom, premier opérateur éthiopien privé

En Ethiopie, alors que la région du Tigré continue d’être meurtrie par la guerre civile, une autre bataille, heureusement non violente, a couru jusqu’au printemps 2021, celle pour l’obtention d’une nouvelle licence télécom. Alors qu’il ne restait plus que deux concurrents en lice, MTN et un consortium constitué par les trois entités du groupe Vodafone (Vodafone, Vodacom et Safaricom), le japonais Sumitomo et l’agence britannique de développement, le CDC, c’est ce dernier qui a remporté la mise en mettant plus d’argent sur la table, à savoir près de 697 millions d’euros. Le gouvernement éthiopien a officiellement octroyé la licence à Safaricom, qui dirige le consortium, en septembre.

Et en 2022 ? Ce nouvel opérateur éthiopien devrait commencer à déployer des services 4G et 5G, qui doivent être prêts pour 2023. A terme, cette nouvelle entreprise éthiopienne devrait créer jusqu’à 1,5 million de nouveaux emplois et générer 8,5 milliards de dollars d’investissements sur dix ans. Mais pas de panique pour MTN : Abiy Ahmed a prévu d’attribuer deux nouvelles licences à l’avenir. Et, avec le désistement d’Orange et d’Etisalat, les concurrents ne semblent pas se bousculer au portillon.

8. Twitter censuré au Nigeria

Il aura fallu une goutte d’eau… Depuis le début du mouvement #EndSars contre les violences policières au Nigeria, à l’automne 2020, la tension ne faisait que croître entre Abuja et Twitter, dont le patron d’alors, Jack Dorsey, avait pris ouvertement partie pour les manifestants. Alors un jour de juin, la sanction tomba, tel un couperet. Après la suppression d’un tweet du président Buhari par la plateforme, les autorités nigérianes décidèrent le bannissement du réseaux social. Une forme de bataille (presque) finale dans cette longue guerre mais pas seulement : cette censure s’inscrit aussi dans une volonté plus générale du pouvoir de cadrer l’expression sur les réseaux sociaux, notamment après une loi, votée en 2019, contre « les mensonges et les manipulations” sur internet. Une loi bien trop floue.

Et en 2022 ? Depuis début juin, les choses ont peu évolué. Certes, des négociations sont en cours entre le gouvernement et Twitter, mais la plateforme est toujours indésirable dans le pays. Les choses pourraient néanmoins bouger : ces pourparlers seraient en effet « très productifs » et l’impact économique du bannissement n’est pas négligeable : en 200 jours d’interdiction, l’économie nigériane aurait perdu plus d’un milliard d’euros, selon le calculateur de NetBlocks.

9. Censure à tout-va, de l’Ouganda au Burkina

De rétrospective en rétrospective, il y a une chose qui ne change malheureusement pas : la facilité avec laquelle certains gouvernements africains coupent le robinet des données (mobiles surtout). Ainsi, 2021 a-t-elle vu se multiplier, comme les années précédentes, les coupures internet sur le continent. On a parlé plus haut de la censure de Twitter au Nigeria, mais il y en a eu d’autres : en Ouganda, par exemple, dès le début d’année, à l’occasion de la présidentielle. Au Soudan, également, au moment du coup d’Etat d’octobre dernier, tout comme en Ethiopie, en marge de la guerre menée au Tigré, ou au Sénégal, lors des manifestations de mars dernier. Même le Burkina, pourtant peu coutumier du fait, s’est laissé tenter par un couvre-feu numérique d’une semaine alors que le pays était pris entre mouvement de contestation et insurrection jihadiste. La sécurité, c’est d’ailleurs le prétexte numéro un pour censurer…

Et en 2022 ? On ne va pas jouer les devins, surtout sur une question aussi sensible. Mais l’année connaîtra son lot d’élections, et la tentation sera bien là. Il y aura par exemple des municipales à enjeux au Sénégal. Mais globalement, les pays dans lesquels devraient se tenir ces scrutins, comme le Kenya, la Gambie et le Congo, ne sont pas réputés être de grands censeurs du numérique. Croisons les doigts.

10. La Tech africaine revient petit à petit au réel

Enfin 2021 a été l’année du retour des événements tech dans le monde réel. Un retour parfois timide, tant la responsabilité des organisateurs serait grande en cas d’apparition d’un cluster. En fin d’année, Africarena a par exemple reçu au Cap près de 200 invités. On est loin du grand raout, mais c’est un début de retour à la normal. Néanmoins de nombreux grands rendez-vous de la scène tech africaine sont restés cantonnés au virtuel. Ce fut le cas de la Blockchain Africa Conference en mars, du SA Innovation Summit en septembre ou de l’Africa Tech Festival, qui a tout de même réussi le pari de réunir 20 000 participants en ligne.

Et en 2022 ? L’année qui s’ouvre devrait voir un plus grand équilibre virtuel / présentiel. Avec la propagation d’Omicron, les organisateurs devraient encore rester sur la défensive et opter pour des événements hybrides. D’autant que le virtuel a plusieurs avantages, désormais bien assimilés (implication plus large du public, meilleur retour sur investissement). Selon une récente étude du spécialiste de la vidéo Kaltura, 94% des organisateurs interrogés l’envisagent pour l’année prochaine. Toutes les dates seront à retrouver, dans les prochains jours, dans notre agenda exclusif.

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