Voilà, 2020 touche à sa fin et, avouons-le, on n’est pas mécontents que ça se termine. Car l’année fut compliquée, aussi, pour la Tech africaine. Et la pandémie de Covid-19 n’est pas la seule à blâmer. Comme en 2019, nous profitons de notre dernière newsletter pour revenir sur les informations qui ont marqué le secteur ces douze derniers mois. Initiatives des Gafa, déploiement de la 5G, censure de l’internet, développement du e-commerce : quelles directions a pris le numérique en Afrique en 2020 ? Voici notre rétrospective.
Une épidémie d’annulations d’événements
Ce fut peut-être le premier symptôme visible de la pandémie dans le secteur des nouvelles technologies en Afrique : dès le début du printemps, les organisateurs de plusieurs événements majeurs ont annoncé l’annulation ou le report de leur édition 2020, afin d’éviter que celle-ci ne se transforme en nouveau cluster sur le continent. L’Africa CEO Forum, où il est largement question d’innovations, n’a pas pu se tenir en mars, comme prévu. Le Tunisia Digital Summit a été repoussé par deux fois, pour finalement se tenir en ligne. Internet fut d’ailleurs le refuge de la grande majorité des événements tech en Afrique cette année, souvent dans des formats plus réduits. Ces grands raouts virtuels ont aussi donné l’occasion à certaines startups africaines, comme la kényane Gumzo, de venir chatouiller le mastodonte Zoom.
Le Covid-19 donne un coup de fouet à la HealthTech
A quelque chose, malheur est bon. Si l’Afrique a été plus épargnée que d’autres continents par la pandémie de Covid-19 – 2,6 millions de cas et 62 375 morts à l’heure d’écrire ces lignes, soit autant qu’en France (2,6 millions de cas et 62 573 morts) –, ces chiffres restent dramatiques. Ils auront toutefois permis de doper la créativité des Africains en matière de santé. Cartographie, do-it-yourself, hackathons… Pléthore d’initiatives healthtech ont émergé à travers tout le continent cette année. La championne toute catégorie est sans conteste 54Gene. Cette startup nigériane créée mi-2019 avec l’ambition de constituer la plus grande base de données génomiques et phénotypiques d’Africains est tombée à pic. Elle a notamment été impliquée dans la fourniture de tests au Nigeria et ailleurs en Afrique, et a même été choisie, en cette fin d’année, comme partenaire national du Nigeria pour l’étude de l’International Registry of Healthcare Workers Exposed to COVID-19, UNITY Global.
Internet, grand perdant des élections en Afrique
L’année 2020 a été riche en élections sur le continent. Seulement, chacun des scrutins majeurs a été accompagné de tours de vis plus ou moins importants sur internet. Au Burundi par exemple, la présidentielle du 20 mai s’est déroulée sans accès aux réseaux sociaux, malgré la lettre d’avertissement de la coalition d’ONG #KeepItOn. Fin octobre, ce fut au tour de la Guinée d’expérimenter une présidentielle très perturbée sur internet et l’Ouganda prépare, à sa manière, les scrutins à venir. Le Togo, en début d’année, avait ouvert la voie, mais le pays fut aussi recadré en 2020 par la Cour de justice de la Cédéao. L’institution a estimé que les deux coupures internet opérées par les autorités en 2017 étaient infondées et portaient atteinte à la liberté d’expression. Un avertissement pour toute la région.
#EndSARS, la mère des révolutions connectées en 2020
Depuis des années, les violences policières étaient régulièrement dénoncées au Nigeria. Mais jamais le pays n’a connu une contestation comme celle qui s’est déroulée en 2020. Et cela est grandement dû à l’utilisation des réseaux sociaux. C’est là que le mouvement #EndSARS, en faveur de la dissolution d’une unité de police décriée, a pris corps. Et alors que longtemps, la campagne réunissait bien plus d’internautes en colère que de manifestants dans les rues, celle-ci, appuyée par de nombreux artistes et certaines startups, a fini par déborder dans le quotidien, bien réel, des grandes villes nigérianes. Si les protestataires ont obtenu gain de cause, le mouvement ne s’est pas éteint et s’est mué en une contestation plus large des élites du pays. Dans le sillage de la révolte nigériane, d’autres protestations ont trouvé écho sur les réseaux sociaux, rencontrant un succès certain : au Cameroun, le gouvernement a renoncé à une nouvelle taxe après une féroce campagne virtuelle, notamment sur Twitter.
Au #Nigeria, mobilisation en ligne d’une ampleur considérable pour dénoncer la violence de la répression policière avec plus de 4 millions de tweets ces dernières 24h pour condamner le #LekkiMassacre. Le mouvement #EndSARS comptabilise près de 150 millions de tweets en 3 semaines pic.twitter.com/DLRfLYrw5n
— Afriques Connectées (@AfriquesConnecT) October 21, 2020
La surveillance gagne du terrain, aidée par la Chine et Israël
2020, morne année pour les libertés numériques en Afrique. Et, malheureusement, pas seulement lors des élections. En mai, on apprenait que le Niger avait fait passer une nouvelle loi destinée à faciliter grandement la surveillance des communications électroniques, “une menace pour les libertés individuelles”, selon l’ONG Africtivistes, d’autant plus qu’elle s’ajoute à une autre, votée en 2019, punissant quiconque publiait des “données de nature à troubler l’ordre public”. L’Ouganda, de son côté, a fait appel au chinois Huawei pour installer des caméras dans plus de 2 000 villes du pays. Un système de surveillance de masse qui a bien aidé le gouvernement à traquer les participants à la manifestation des 18-19 novembre, qui a fait plus de cinquante morts. D’autres pays, comme le Nigeria, le Kenya, le Maroc ou la Zambie, se sont eux tournés vers Circles, une startup israélienne proche du NSO Group, une société attaquée en justice par Facebook pour avoir répandu le logiciel espion Pegasus sur 1 400 comptes WhatsApp.
L’Afrique, nouveau champ de bataille des cyber-armées
La dernière édition de l’Africa Risk-Reward Index, publiée en septembre dernier, a confirmé ce que les grandes plateformes d’internet constataient depuis un certain temps : de plus en plus d’”acteurs externes” mènent des opérations d’influence et de désinformation en Afrique. Facebook multiplie les actions contre ces campagnes organisées depuis la Russie, l’Iran, Israël, l’Arabie saoudite ou encore… la France. Dernièrement, le réseau social a en effet mis fin à une bataille entre trolls russes et français qui se déroulait notamment en Centrafrique. Mais la désinformation peut aussi être “maison”. En juin dernier, un laboratoire de recherche américain dévoilait “l’opération Carthage”, une vaste campagne de cyber-influence organisée depuis la Tunisie afin de peser sur plusieurs scrutins en Afrique. Près de quatre millions d’Africains étaient exposés aux contenus très politisés créés par une agence de communication.
La 5G se heurte aux réalités africaines
Hors Covid, la 5G est probablement l’un des termes qui est le plus revenu en 2020. Afrique du Sud, Togo, Sénégal, Kenya… Nombre de pays africains ont lancé des réseaux 5G cette année, résolus à ne pas se faire devancer par le reste du monde. Qui sont leurs clients ? Ce n’est pas si évident… Jusqu’en 2025 en Afrique, la 5G “sera loin d’être la technologie des utilisateurs”, estimait la GSMA en octobre dernier. L’équipementier suédois Ericsson abondait en décembre : la pénétration de la 5G sera seulement de 5% sur le continent en 2026 et la 2G et la 3G resteront les réseaux privilégiés des consommateurs africains dans les cinq prochaines années – même devant la 4G. Alors qui ? Peut-être les professionnels, dans la Fintech ou l’Agritech, par exemple, qui auront besoin de générer un nombre de données toujours plus massif. Mais rien n’indique que les infrastructures seront assez développées et abordables pour ce type d’usages avant longtemps. Seule certitude : la 5G sera “une source majeure de demande de cobalt dans les années à venir”, prévient le cabinet britannique CRU. Un nouveau bouleversement pour l’économie de la RDC, qui possède 70% des réserves mondiales de ce minerai.
Le mirage Akon City ?
Promis, on ne le fait pas exprès… Les plus fidèles d’entre vous se souviennent peut-être qu’Akon était déjà présent dans le best-of 2019 de Teknolojia pour avoir lancé sa cryptomonnaie, l’Akoin. Cette année, le revoilà avec la suite de son aventure tech au Sénégal : Akon City. Les travaux de cette “ville intelligente” de 2 000 hectares imaginée par le chanteur américano-sénégalais à l’emplacement du village côtier de Mbodiène, à 100 km de Dakar, ont commencé le 31 août, en présence du ministre sénégalais du Tourisme, Alioune Sarr. Un projet ambitieux de 5,03 milliards d’euros qui n’a pas tardé à recevoir de lourdes critiques, notamment de certaines figures religieuses et de quelques opposants sénégalais. Outre le caractère indubitablement mégalomane du projet – à Akon City, on paiera en Akoin et l’électricité pourrait être apportée par l’entreprise Akon Lighting Africa – ces derniers y voient davantage une cité-dortoir pour ultra-riches menant à une privatisation agressive du littoral national que l’hommage à la culture ouest-africaine voulu par le rappeur. Aura-t-on l’occasion d’en reparler en décembre 2021 ? Le rendez-vous est pris.
Google et Facebook en course pour connecter l’Afrique
L’intérêt des Gafa pour l’Afrique n’est plus à prouver. L’année 2020 l’a encore montré. Alors que la pandémie de Covid-19 plongeait presque le monde entier en confinement, Google a reçu l’aval des autorités kényanes pour faire survoler l’espace aérien commercial national à ses ballons Loon afin de répandre la 4G, distribuée par Telkom Kenya, sur une plus grande partie du territoire. Un mois plus tard, Facebook dévoilait 2Africa, l’aboutissement de son projet de câble sous-marin de fibre optique encerclant l’Afrique annoncé pour 2023-2024 – autrefois appelé Simba – dans lequel il a embarqué plus d’une dizaine d’acteurs. Mais Google n’avait pas dit son dernier mot : en novembre, sa maison-mère Alphabet lançait Taara, un réseau d’émetteurs et récepteurs transportant des données par faisceaux lumineux. Après avoir inauguré un second QG africain, à Lagos en septembre, la firme de Mark Zuckerberg a donné la réplique à Google en lançant SuperCell, des super-antennes visant à mieux connecter les zones reculées en Afrique. A n’en pas douter, les deux géants d’internet sont devenus incontournables sur le continent.
Le e-commerce africain attendra la Zlecaf
Avec la pandémie de Covid-19, la HealthTech africaine a tiré son épingle du jeu. Et on s’attendait à ce qu’il en aille de même pour le e-commerce. Mais les incessants déboires du géant Jumia ont refroidi les experts dès le début de l’épidémie sur le continent : le commerce en ligne africain n’est pas prêt, et sans infrastructures dignes de ce nom, difficile de satisfaire de nouvelles habitudes de consommation. Le secteur a aussi été durement touché par les restrictions de vente imposées, par exemple, en Afrique du Sud. Mais ce sombre tableau n’a pas empêché certaines startups, à l’image de la nigériane Farmcrowdy, de se lancer dans l’aventure cette année. D’autant que l’éclaircie pointe à l’horizon : la nouvelle Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), qui entrera en vigueur le 1er janvier, assure vouloir donner une place de choix au e-commerce.